[Article] L’augmentation du point d’indice des fonctionnaires

Extrait de la revue : JCP / La Semaine Juridique – Édition Administrations et Collectivités Territoriales n°12

L’augmentation du point d’indice des fonctionnaires

PAS L’INDIFFÉRENCE !

POINTS CLÉS ➤ Le Gouvernement vient d’annoncer une revalorisation de 1,2% du point d’indice de la fonction publique, qui sert à calculer la paye des fonctionnaires La valeur de ce point était gelée depuis 2010. Cette mesure risque au final de déplaire à tout le monde, tant aux fonctionnaires, qui vont trouver faible la revalorisation sur leur feuille de paie, qu’aux employeurs publics qui vont devoir trouver, ensemble, près de 2 milliards d’euros pour absorber cette hausse À l’aide de quelques titres de Jean-Jacques Goldman, penchons-nous sur les conséquences de cette augmentation

Jean-Luc Bœuf,
administrateur général


1. Il suffira d’un signe

Rappelons tout d’abord ce qu’est le point d’indice.Chaque agent public est positionné sur un échelon dans son grade. Cet échelon détermine le nombre de points d’indice de son salaire. Pour connaître le montant du salaire mensuel brut,il suffit de multiplier la valeur du point d’indice par le nombre de points correspondant à l’échelon.Le point d’indice est donc ce qui sert de référence pour les quelques 5,5 millions d’agents publics. Sa valeur était restée la même depuis 2010, date de la dernière revalorisation.

Précisons ensuite qu’au printemps 2015, le Premier ministre avait lui-même déclaré que « le point d’indice des fonctionnaires restera gelé jusqu’à la fin de la mandature ». En simplifiant, le Gouvernement indiquait à l’époque que les agents publics allaient bénéficier d’un coup de pouce financier mais « pas avant 2017 » et « sans augmentation généralisée ». Moins d’un an plus tard, le
17 mars 2016, la ministre de la Fonction publique, Annick Girardin, annonce cependant une hausse du point d’indice de 1,2 %. Cette revalorisation se fera en deux temps: 0,6 % le 1er juillet 2016 et 0,6 %le 1er février 2017.Le timing de l’augmentation n’est évidemment pas étonnant. Depuis 1981 en effet, tous les pouvoirs publics, quels qu’ils soient, ont revalorisé la rémunération des agents publics avant la campagne présidentielle, à une seule exception, en 2012. Ce geste était très attendu des agents, qui doivent en permanence soutenir la comparaison avec les salariés du privé. Mais rappelons que le terme de « fonctionnaire » regroupe des réalités très différentes. Il y a en effet les agents publics de catégorie :A,les cadres et les enseignants ; B, les techniciens et C, les agents que l’on voit tous les jours dans les collectivités, dans les services rendus aux usagers (voirie, crèches, animateurs…). En outre, la fonction publique territoriale (FPT) est composée aux trois quarts d’agents de catégorie C, les moins rémunérés. La revalorisation décidée s’applique à tous les agents publics, qu’ils soient titulaires, contractuels, vacataires.

2. Entre gris clair et gris foncé

La décision de revalorisation se situe dans un entre-deux : d’un côté, elle est jugée trop faible par les agents mais d’un autre côté, elle est lourde de conséquence pour les budgets de l’État, des collectivités et des hôpitaux publics. Si la mesure constitue une bonne nouvelle pour les agents de la FPT, les exécutifs locaux y voient surtout une charge supplémentaire qui leur est imposée par le Gouvernement. Car pour la seule FPT, la facture devrait dépasser les 650 millions d’euros par année civile.

Cette mesure s’ajoute aux baisses massives de dotations qui se poursuivent et risquent de s’aggraver à l’occasion d’une réforme de la dotation globale de fonctionnement. Les présidents des grandes
associations d’élus ne se sont bien sûr pas opposés directement à la hausse du traitement salarial des agents de leurs collectivités membres. Ils n’en soulignent pas moins le coût à venir pour les finances locales. Et ce, en l’absence de toute concertation en amont de la part du Gouvernement. C’est l’un des paradoxes du rôle de tout employeur territorial : il est certes libre de recruter ses agents, lorsqueles postes ont été créés naturellement,maisla revalorisation générale des salaires lui échappe puisque fixée par l’État. L’épargne locale va de ce fait baisser dans la proportion de la revalorisation du point d’indice.Lesincidencesmécaniques des revalorisations comprimeront de plusieurs centaines de millions d’euros leurs capacités d’épargne et annulent d’un coup les décisions prises récemment pour relancer l’investissement public.

3. Encore un matin

Cette décision de revalorisation intervient alors que les collectivités publiques mettent déjà en application l’accord relatif aux parcours professionnels, carrières et rémunérations, dit PPCR, des
agents de la fonction publique de 2016 à 2020.Cet accord a lui aussi de lourdes conséquences financières, évaluées à 4,5 milliards d’euros pour les trois fonctions publiques.Rappelons qu’il s’agit de revalorisations décidées au niveau national et que tous les employeurs publics doivent appliquer.

À titre d’illustration, pour une ville de 70 000 habitants en services mutualisés avec une communauté d’agglomération de près de 100 000 habitants, le coût de la mise en place de cet « accord » dépasse les 700 000 € sur quatre ans, de 2016 à 2020.

La puissante association des maires de France (AMF) demande désormais au Premier ministre « une négociation globale afin de compenser l’impact financier de ces mesures sur les budgets locaux déjà soumis à de très fortes contraintes ». Les élus dénoncent également le fait que la décision « n’ait pas été précédée d’une consultation et de simulations présentées aux associations d’élus locaux ». Ceci est malheureusement une constante : l’État pilote et décide seul de la revalorisation d’un point d’indice que les autres fonctions publiques doivent ensuite appliquer. L’association des communautés de France juge nécessaire, « sans remettre en cause le choix du Gouvernement
(…) d’interroger la centralisation extrême de la négociation sociale et son caractère déresponsabilisant pour les collectivités ».
En tout état de cause, une concertation beaucoup plus approfondie avec les employeurs publics locaux devrait être assurée en amont de telles décisions. La consultation, très tardive, du conseil supérieur de la fonction publique territoriale ne peut être jugée satisfaisante.
En ces temps de demande de transparence absolue, rappelons pour conclure que la commission d’accès aux documents administratifs a été amenée à préciser que la vie privée des agents publics doit bénéficier de la même protection que celle des autres citoyens, pour ce qui est de leur rémunération. Leur grade et leur indice sont communicables, ce qui permet de connaître leur salaire brut. En revanche, les éléments liés à la situation familiale et personnelle de l’agent ne sont pas communicables. Il en est de même pour les primes variables versées. L’instance de régulation a ainsi affirmé avec clarté la nécessité de ne pas confondre transparence et voyeurisme. La récente revalorisation du point d’indice n’y change rien.

JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION ADMINISTRATIONS ET COLLECTIVITÉS TERRITORIALES N° 12. 29 MARS 2016

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