[Article] Marielle Thuau, une justice rationalisée

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°14

Directrice des services judiciaires à la Chancellerie depuis octobre
dernier, Marielle Thuau s’attèle à mettre en œuvre la politique impulsée par Jean-Jacques Urvoas en dépit des difficultés matérielles persistantes dans les juridictions.

La poignée de main est ferme, le sourire cordial, les éléments de langage bien rodés mais l’échange se révèle moins corseté qu’imaginé. Voilà cinq mois que Marielle Thuau a pris la tête de la direction des services judiciaires (DSJ) du ministère de la Justice, une entité « centrale en ce sens que les autres directions ne pourraient fonctionner sans elle », et la période a été pour le moins compliquée. Attentats du 13 novembre, démission de Christiane Taubira, manques de moyens dénoncés par les tribunaux, Bobigny en tête, renouvellement décrié de l’état d’urgence et inscription dans le projet de loi de procédure pénale malgré les motions d’alerte des magistrats, le tout mené avec un nouveau garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, hier favorable à un changement de cap du Gouvernement Valls. « Il faut accepter que certaines choses se passent en-dehors de la justice », tempère la directrice des services judiciaires. La Chancellerie, dans son ambition de modernisation qui s’accorde avec celle de simplification de la justice, se dirige justement vers une « possible déjudiciarisation » des procédures, l’idée étant encore « difficile à faire accepter au citoyen et au législateur ».

Aujourd’hui, la DSJ s’emploie à « recentrer le magistrat sur son cœur de métier » : « régler les conflits au sens large, et pour le parquet, s’occuper des infractions ». En l’occurrence, la réforme de la justice du 21 e siècle comprend un volet sur les modes de résolutions alternatifs des conflits et un autre sur l’utilité de certaines procédures.
Enfin, un troisième volet « qui n’est pas d’actualité mais dans le paysage » concerne des mesures écartées comme « la déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel ». De prochains arbitrages auront lieu sur des « propositions complémentaires » d’ici la fin du mois de mai, précise
Marielle Thuau. Quant à la pénurie de personnel dans les TGI à laquelle s’ajoute la prochaine vague de départs à la retraite, la magistrate ne les nie pas mais rappelle « l’énorme baisse de recrutements avant 2012 » et l’arrivée en septembre dans les tribunaux de la première grande promotion de magistrats lancée par Christiane Taubira. Elle ajoute : « On a un effet retard et il nous est demandé de trouver des idées pour aider les juridictions à fonctionner ». Parmi celles-ci, se dessine le projet de « construire une équipe autour des magistrats », 300 assistants doivent être recrutés jusqu’en 2017, ou encore celui d’instaurer « des indicateurs permettant de repérer les juridictions en situation de fragilité (stocks, délais, arrêts de travail) » avec une réflexion autour des plans d’action possibles. À Bobigny, un plan pluriannuel de progrès vient d’être lancé. « On ne reste pas sans rien faire », tonne la directrice.

Documentaliste à l’ENAP dans une autre vie, Marielle Thuau a passé la moitié de sa carrière en juridictions, juge des enfants à Versailles ou encore juge d’instance à Antony. L’autre moitié, elle l’a effectué en détachement au ministère de la Justice, notamment comme sous-directrice au service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes où elle a participé à l’élaboration d’une « méthodologie pour prendre en charge les victimes d’accident collectif ». Quinze ans plus tard, « c’est
devenu systématique », se félicite-t-elle. En jeu à cette époque déjà, l’accès au droit pour tous. Un chantier en plein déploiement en 2016 à travers le portail Justice.fr, côté numérique, et l’instauration des services d’accueil unique du justiciable au sein des tribunaux. « L’attente de justice est grande et nous sommes tous au service du justiciable, conclut la directrice. La DSJ est une belle direction portée par des personnes engagées et peu nombreuses car le manque de moyens existe à tous les niveaux, y compris au ministère de la Justice ».

Anaïs Coignac

Ils ont dit

« J’ai décidé, après m’être entretenu avec les présidents de l’Assemblée nationale
et du Sénat, de clore le débat constitutionnel [sur la déchéance de nationalité]. (….) Le 16 novembre, 3 jours après les attentats, j’avais proposé une révision de la Constitution pour mieux garantir l’utilisation de l’état d’urgence et pour priver de la nationalité française les terroristes qui portent les armes contre leur propre pays. Je l’avais fait en appelant à un dépassement des frontières partisanes, pour rassembler les français » (F. Hollande, intervention, 30 mars 2016).

« Le terrorisme est devenu un horizon quotidien au point qu’il n’est sans doute pas
excessif de considérer qu’il est désormais une des principales menaces pesant sur la sécurité mondiale.
C’est dire la fonction essentielle que doit jouer l’institution judiciaire dans sa répression comme dans sa prévention » (J.-J. Urvoas, Discours, 24 mars 2016).

« J’entends beaucoup parler de la “perpétuité réelle”. Si ce sujet occupe les médias, il est traité depuis plus d’un mois par le Parlement. Ainsi, le 8 février, les députés ont déjà voté cette perpétuité réelle. Un amendement (…) prévoit l’allongement de la période de sûreté qui peut être prononcée
en matière d’infractions terroristes de 30 ans contre 22 aujourd’hui, et le prononcé d’une perpétuité
réelle, c’est-à-dire l’interdiction de tout aménagement de peine, sans limitation de durée » (J.-J. Urvoas, Discours, 24 mars 2016).

« Je ne pense pas qu’il y ait plus de comportements délictueux chez nous qu’ailleurs.
Mais l’absence de condamnations en France pour versements en particulier de pots-de-vin a créé un
climat de soupçon envers notre pays que je juge infamant », a déclaré le ministre des Finances Michel Sapin. « Il nous manque une panoplie de bonnes mesures pour combattre et prévenir ces pratiques » (Le Monde, 30 mars 2016).

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 14 – 4 AVRIL 2016 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 14 – 4 AVRIL 2016

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