[Article] Entretien avec Corinne Valls sur le développement de l’agriculture urbaine

Extrait de la Revue de Droit Rural

« Si tu ne viens pas à l’agriculture, l’agriculture ira à toi »

 

Corinne Valls

Le couple ville et agriculture ne fait pas toujours bon ménage. Pourtant ces deux mondes tendent à se rapprocher. Pareille cohabitation nécessite de construire de nouvelles relations juridiques entre ces deux rives (V. B. Grimonprez et D. Rochard, ss dir., Agriculture et ville : vers de nouvelles relations juridiques : PU Juridiques de Poitiers, coll. Droit & Sciences sociales, févr. 2016). Il s’agit d’abord de trouver les outils juridiques à l’effet de dépasser certains antagonismes : quelles conventions peuvent être les plus adaptées au regard de l’espace exploité ? Selon quelles contraintes environnementales dans le respect de l’espace urbain ? La ferme verticale, par exemple, place l’agriculteur au milieu du village, au plus près du consommateur. Si certains y voient une utopie, plusieurs villes ont franchi le Rubicon, Singapour pour ne citer qu’un exemple fameux. Respectueux du circuit court, nous sommes allés à quelques kilomètres de Paris à la rencontre de Mme la maire de Romainville, Mme Corinne Valls, qui a lancé ces dernières années plusieurs initiatives en ce sens. Ces nouvelles pratiques vont nécessairement influer sur les pratiques juridiques.

Fabrice Collard : Plusieurs initiatives ont été lancées sur votre commune en faveur du développement de l’agriculture urbaine, pouvez-vous nous parler plus spécialement de la ferme urbaine et de la prochaine tour maraîchère ?
Corinne Valls : Au-delà de l’histoire maraîchère de Romainville, c’est la question de l’environnement, de l’étalement urbain, de l’alimentation, de la consommation durable que la municipalité porte en développant l’agriculture urbaine. Après des tests concluants, une ferme urbaine écologique, démonstrative et pédagogique composée de trois serres permettra la culture de micro-pousses sur 350m2 dès le mois d’avril. Cette activité permettra d’alimenter l’étude de faisabilité du projet de tour
maraîchère dans le quartier Marcel Cachin.

F. C. : La tour maraîchère : une révolution agricole urbaine ?
C. V. : Cette tour est une véritable innovation, nous avons dû réviser notre Plan local d’urbanisme pour répondre à cette ambition de développement de l’agriculture en milieu urbain permettant les constructions ou installations à usage agricole.
L’objectif de la tour maraîchère est de réintroduire l’agriculture pour renforcer les circuits courts et garantir l’accès à une alimentation de qualité pour tous les citadins tout en l’adaptant aux contraintes spatiales du fait de la pression foncière croissante sur nos territoires.

F. C. : Comment va fonctionner cette ferme verticale ? Comment sera-t-elle administrée ?
C. V. : Cette tour sera implantée sur une parcelle de l’office public de l’Habitat Romainville Habitat, dans un quartier prioritaire. Elle sera confiée à un ou plusieurs exploitants qui payeront un loyer en fonction de la production et du chiffre d’affaire réalisés. Cette tour sera une structure sur plusieurs niveaux proposant plus de 1 000m2 de surfaces directement exploitables avec un point de vente direct. La production s’élèverait au départ à 16 tonnes de fruits et légumes minimum par an, soit la consommation de 200 personnes.

F. C. : L’activité maraîchère sera en bacs de culture, pouvezvous en dire plus ? Pourquoi une telle volonté ?
C. V. : Les légumes produits par la ferme urbaine du quartier Marcel Cachin pousseront en bacs de 30 à 50 centimètres de profondeur, dans du substrat issu de l’économie circulaire et testé depuis plusieurs années sur des cultures maraîchères par AgroParisTech. Ce substrat, qui se compose de différentes couches de produits résiduaires organiques urbains, présente plusieurs avantages : il est léger, gratuit et riche. Il permet de recréer un écosystème classique en favorisant la vie tellurique (champignons, vers de terre…).

F. C. : Quel est le modèle économique de cette tour ?
C. V. : Une étude de faisabilité complémentaire affinant le modèle économique de l’exploitation agricole, va être menée en 2016, par l’association le Paysan Urbain afin de tester des hypothèses de configuration d’une exploitation d’agriculture urbaine de petite surface (autour de 1 000m2
). Pour cela, sera étudiée la combinaison d’une production de produits à forte valeur ajoutée (micro-pousses, graines germées…) avec une production maraîchère plus traditionnelle, ainsi que la vente de services liés (animations, formations…).

F. C. : Une fondation pour l’agriculture urbaine et ses développements va être créée afin de financer cette structure innovante. Pouvez-vous développer ?
C. V. : Pour réaliser ce projet, la ville a créé un fonds de dotation pour l’agriculture urbaine et ses développements afin de rechercher divers partenaires financiers, publics comme privés. Des projets d’agriculture urbaine se développent partout dans le monde, notamment en Amérique du Nord. Ce sera le rôle du conseil scientifique de ce fonds de dotation d’expliquer les avantages de l’agriculture urbaine ; il n’est pas difficile de convaincre de l’intérêt du projet mais les partenaires et institutions doivent maintenant soutenir l’investissement et l’innovation.

Propos recueillis par Fabrice COLLARD

REVUE DE DROIT RURAL – REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR – AVRIL 2016

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