Extrait de la Revue de Droit Rural
Les conséquences du traité transatlantique pour l’agriculture
Le jeudi 4 février 2016, le Sénat a adopté la proposition de résolution européenne sur les conséquences du traité transatlantique pour l’agriculture et l’aménagement du territoire présentée par Michel Billout et plusieurs de ses collègues. Considérant que « l’agriculture est un secteur économique essentiel pour notre pays [qui] connaît des difficultés croissantes et récurrentes », constatant que « le volet agricole du projet de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (TTIP) est susceptible d’aggraver fortement ces difficultés déjà très lourdes » ; « que les négociations menées en vue d’un partenariat transatlantique avec les États-Unis (TTIP), malgré l’importance des enjeux, sont menées sans que soient suffisamment mis en œuvre les principes d’ouverture et de transparence (…) [et] que l’étude d’impact sur la France par secteur d’activité demandée au Gouvernement par le Sénat dans sa résolution européenne n° 164 du 9 juin 2013 n’a toujours pas été fournie », les auteurs de la proposition de résolution demandent notamment au Gouvernement : de faire en sorte qu’une conclusion éventuelle du TTIP préserve le modèle agricole européen et français dans toute sa diversité d’activités ; d’obtenir le maintien de normes de haute qualité aussi bien au niveau de la production que de la transformation ; de préserver impérativement le système européen de signes de qualité et le régime du certificat d’obtention végétale ; de maintenir la possibilité pour l’Union européenne et les États membres de soutenir le secteur agricole par des actions tendant à favoriser l’emploi dans le secteur agricole, la qualité des productions, l’aménagement équilibré du territoire et la protection de l’environnement ; de demander le retrait du volet agricole d’un accord qui ne réunirait pas ces conditions ; enfin de répondre à la demande d’étude d’impact formulée par le Sénat dans sa résolution n° 164 du 9 juin 2013, en y incluant une étude d’impact spécifique sur le secteur agricole. À cette occasion, le professeur Yves Petit a interrogé M. Philippe Bonnecarrère, sénateur du Tarn (Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées) auteur du rapport n° 201 (2015-2016) avec Daniel Raoul, proposition de résolution sur les conséquences du traité transatlantique pour l’agriculture et l’aménagement du territoire, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 26 novembre 2015
Yves Petit : De nombreuses inquiétudes émergent à propos de l’impact du « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) » sur la filière bovine française. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?
Philippe Bonnecarrère : Les éleveurs vont très mal dans notre pays. C’est un sujet majeur économiquement, humainement et territorialement. Le TTIP n’y est pour rien. Mais il est exact que c’est une inquiétude supplémentaire à relativiser du fait que l’élevage fait partie des exclusions de la négociation douanière pour l’Union européenne.
Y. P. : La négociation relative au TTIP ne comporte-telle pas le risque d’imposer la culture des OGM au sein de l’Union européenne ?
P. B. : Non. Il est acquis que les niveaux de sécurité des populations ne seront pas baissés, au contraire, et que les spécificités alimentaires de part et d’autre de l’Atlantique seront respectées. Il n’y aura pas plus de bœuf aux hormones que de poulet chloré dans l’éventuel accord.
Y. P. : La négociation relative au TTIP ne met-elle pas en danger les IGP européennes, notamment dans le domaine vitivinicole ?
P. B. : L’Europe s’appuie sur les IG alors que les USA ne jurent que par les marques. Une marque est cessible, pas un territoire ou ses savoir-faire. Les États-Unis essaient de démanteler nos IG et à consulter les comptes rendus de la négociation continuent leur travail de sape.
La France et au moins six autres pays ont depuis le début de la négociation indiqué qu’il n’y aurait pas d’accord si les IG n’y sont pas.
Y. P. : Le niveau de libéralisation des échanges recherché dans la négociation du TTIP n’est-il pas trop ambitieux ?
P. B. : Oui et qui trop embrasse mal étreint suivant le dicton populaire. Je rappelle cependant que la Commission négocie sur la base d’un mandat reçu du Conseil européen et donc de notre pays.
Y. P. : L’Union européenne défend des valeurs et des préférences non marchandes (dans les domaines de l’environnement, du risque ou de la multifonctionnalité de l’agriculture). De ce
point de vue, le TTIP ne représente-t-il pas une menace pour l’identité de l’Union ?
P. B. : Je ne crois pas et il pourrait être à l’inverse soutenu que les choix sociétaux sont plus aisés à défendre à 28 que seuls. J’ajoute que du point de vue US, la négociation stratégique est
celle menée avec l’Asie mais non ratifiée.
Y. P. : La négociation relative au TTIP ne fait-elle pas de l’agriculture la variable d’ajustement des négociations ?
P. B. : Le problème est qu’il y a plusieurs agricultures.75 % de nos exports avec les USA sont sur les produits vinicoles et alcools. Cette filière considère avoir tout à gagner au TTIP si les IG sont validés. Le marché céréalier est déjà largement internationalisé. Nos produits laitiers ont tout à gagner à une équivalence des procédés de fabrication tant nos exportations sont entravées. Sous réserve de quelques domaines comme les ovo produits, nos préoccupations sont centrées sur l’élevage. Nous ne savons pas si nous sommes capables de créer une filière pour les viandes de qualité aux États-Unis mais nous sommes malheureusement certains que nos élevages « à l’herbe » ne seront pas compétitifs. La défense de notre élevage est la clef de voûte de notre position.
Y. P. : Quel est votre sentiment à propos des informations dont vous avez pu vous nourrir tout au long de la négociation et celles qui ont été diffusées auprès des citoyens en général, des agriculteurs en particulier. Plus de transparence était-il possible souhaitable ? Nécessaire ?
P. B. : Ce besoin de transparence est évident. La Commission et notre gouvernement l’ont compris. En qualité de parlementaire, j’ai pu prendre connaissance des comptes rendus des négociations. Celui du douzième round n’est pas encore disponible mais j’ai pu consulter les précédents. Ils me sont apparus complets même s’il est toujours agaçant de devoir les lire en Anglais !
Y. P. : Peut-on évaluer l’impact cumulé sur l’agriculture d’un accord avec les États-Unis et de l’accord (auquel on met la dernière main) avec le Canada ?
P. B. : Je n’ai pas connaissance d’une étude globale que nous sommes en droit d’attendre de la Commission. Je n’accorde aucune crédibilité aux documents d’origine US qui ont récemment
circulé.
En conclusion, nous sommes très éloignés d’un accord sur le TTIP avec pour le moment deux obstacles majeurs sur les IG pour nous, sur l’ouverture des marchés publics pour eux (le Buy America). Nous attendons la décision sur le statut mixte ou pas d’un traité précédent avec Singapour. Si la Cour de justice juge qu’il s’agit, ce que nous sommes nombreux à penser, d’un accord dit mixte, cette jurisprudence s’appliquera a fortiori au TTIP. Il ne pourrait être ratifié que par le vote conforme du parlement européen et des parlements nationaux.
Ceci me semble la meilleure réponse à la légitime préoccupation de nos concitoyens.
Propos recueillis par Yves PETIT
REVUE DE DROIT RURAL – REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR – AVRIL 2016