[Edito] Justice qui blesse, justice qui apaise

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°16

Pascale Robert-Diard
« La divergence d’appréciation entre les premiers et les deuxièmes juges n’apparaît pas seulement sur le fond de la décision, elle est dans la forme. »

J’avais évoqué ici cet automne l’intérêt juridique, politique et humain que présentait l’audience d’appel dans le dossier Xynthia , du nom de la tempête qui s’est abattue en février 2010 sur les côtes vendéennes et qui a entraîné la mort de 29 personnes à La Faute-surMer. Au terme d’un premier procès qui avait illustré, jusqu’à la caricature, la dérive compassionnelle de la justice pénale, le principal prévenu et ancien maire de la commune, René Marratier, avait été condamné par le tribunal des Sables d’Olonne à quatre ans d’emprisonnement ferme, soit la plus lourde peine jamais prononcée contre un élu pour « homicides involontaires » et « mise en danger de la vie d’autrui » (V. JurisData n° 2014-036944 ; JCP G 2015, act. 987).

Dans son arrêt rendu le 4 avril, la cour d’appel de Poitiers (n° 15/00561 : JurisData n° 2016-006632) retient elle aussi la culpabilité de René Marratier et le condamne à deux ans d’emprisonnement avec sursis.
Elle considère surtout, contrairement au tribunal, que les fautes d’imprudence et de négligence dont il est coupable ne sont pas « détachables » de son service de maire et qu’il n’est donc pas responsable sur ses deniers personnels des 600 000 euros de dommages et intérêts accordés aux parties civiles.

Mais la divergence d’appréciation entre les premiers et les deuxièmes juges n’apparaît pas seulement sur le fond de la décision, elle est dans la forme. Là où le tribunal accusait l’élu de « malveillance », le décrivait « confi t dans des certitudes », évoquait sa « gestion communale pervertie », la cour rappelle qu’il a été « réélu pendant plus de vingt ans, ce qui témoigne d’une adhésion majoritaire des administrés à son action » et souligne que René Marratier « a toujours agi dans ce qu’il croyait être l’intérêt de sa commune (…) ce qui a d’ailleurs été le cas dans une large mesure pendant longtemps ».
Quand le tribunal faisait de l’ancien maire quasiment l’unique responsable de la tragédie de La Faute-sur-Mer, la cour observe que « si les fautes commises ont contribué à créer le dommage, elles n’en ont pas été l’unique cause, l’intensité particulière du déchaînement des éléments et les fautes de tiers en ayant largement leur part ». Autant le jugement était blessant, presque injurieux à l’encontre de l’ancien maire, autant l’arrêt se veut apaisant.

Il y a douze ans de cela, une affaire mettant en cause un élu autrement célèbre avait offert le même contraste. Je me souviens du vacillement d’Alain Juppé lorsqu’il avait entendu la présidente du tribunal de Nanterre lire les attendus cruels du jugement qui le condamnait à dix ans d’inéligibilité pour « prise illégale d’intérêts » dans l’un des dossiers de financement de feu le RPR. Il avait « trompé la confiance du peuple souverain », affirmaient les juges.
Un an plus tard, cette « peine de mort politique » comme elle avait alors été qualifi ée, était commuée en un an d’inéligibilité, la cour d’appel de Versailles considérant qu’Alain Juppé ne devait pas être un « bouc émissaire » des dérives de son parti.

On peut condamner sans accabler. L’analyse sémantique comparée pourrait être poursuivie sur bien d’autres dossiers. Elle en dit long sur « la part du juge » dans une décision de justice, comme il y a une « part des anges » dans un flacon de whisky.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 16 – 18 AVRIL 2016 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 16 – 18 AVRIL 2016

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