[Article] Focus de Joël Monéger sur les Baux commerciaux

Extrait de la Revue : Loyer et Copropriété – Revue Mensuelle LexisNexis Jurisclasseur -Avril 2016

Joël MONÉGER, professeur émérite à l’Université Paris-Dauphine, directeur honoraire de l’Institut Droit Dauphine (i2d)

Source : D. n° 2016-296, 13 mars 2016, relatif à la simplification de formalités en matière de droit commercial, chapitre III : dispositions relatives au recours à la lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans les relations entre bailleurs et locataires : JO 13 mars 2016, texte n° 29

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 a modifié dans son article 207, les modes de délivrance d’un certain nombre d’actes relatifs aux relations entre bailleurs et locataires. Cette nouvelle législation a, en particulier, rendu possible l’usage de la lettre recommandée avec demande d’avis de réception notamment pour le locataire. Il a été réclamé que les textes réglementaires insérés au Code de commerce soient amendés pour prendre en considération les nouvelles normes légales (V. en dernier lieu : Mettre ou ne pas mettre l’accent : du mauvais usage du français dans la loi : Loyers et copr. 2016, repère 3).
Le décret n° 2016-296 vient, avec bonheur, combler les lacunes susceptibles d’être corrigées par le pouvoir réglementaire. Le chapitre III de ce texte est consacré aux nouvelles dispositions relatives à la lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans les relations entre bailleurs et locataires.

En premier lieu, l’article 14 du décret abroge l’article R. 145-1-1 du Code de commerce. C’est le constat de l’évidence puisque la référence au seul article L. 145-9 dudit code n’avait plus de sens et emportait abrogation implicite. Le congé emportant la fin du bail doit être donné par le locataire ou le bailleur par acte extrajudiciaire. Deux dérogations existent. D’abord, la demande de renouvellement, qui met aussi fin au bail selon l’article L. 145-10 du Code de commerce, peut être délivrée au choix du preneur par lettre RADAR ou par acte d’huissier. Ensuite, le locataire qui entend mettre fin au bail à l’issue d’une période triennale, sauf dérogation conventionnelle autorisée par la loi, peut opter pour l’usage de cette forme, s’il ne préfère pas l’autre. Les actes délivrés pendant la période séparant la loi modificatrice et le nouveau décret restent régis par les dispositions du Code de procédure civile, en particulier, les articles 668 et suivants du Code de procédure civile. À maints égards, les nouvelles dispositions s’inspirent des normes procédurales.

En second lieu, l’article 15 du décret crée une nouvelle section à la fin de la partie réglementaire du code consacrée aux baux commerciaux. Cette section 6 prend place après l’article R. 145-37 et comprend un unique article R. 145-38 régissant le recours à la lettre RADAR. Sont expressément visés les articles du Code de commerce, L. 145-4 : résiliation triennale du bail par le preneur ; L. 145-10 : demande de renouvellement du bail par le preneur en l’absence de congé du bailleur ; L 145-12 : notification par le bailleur qui avait refusé le renouvellement du bail, de son droit d’option en faveur du renouvellement ; L. 145-18 : acceptation, dans un délai de trois mois, par le preneur par lettre RADAR des nouvelles conditions de location offertes par le bailleur qui a donné congé en vue de la reconstruction de l’immeuble loué ; L. 145-19 : expression par le locataire, dans un délai de trois mois, de sa volonté d’user du droit de priorité prévu par l’article L. 145-17-II du Code de commerce, en cas de reconstruction de l’immeuble dans lequel se trouvait son local commercial ; L. 145-47, alinéa 2 : information du bailleur de l’exercice du droit à déspécialisation partielle ; L. 145-49 : indication au bailleur et aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce de ou des activités envisagées et information par le bailleur des locataires bénéficiaires d’une clause de non-concurrence, dans le cas d’une déspécialisation plénière ; L. 145-55 : renonciation par le preneur à la déspécialisation autorisée par le tribunal. Lorsque les textes ne précisent pas la forme à suivre pour faire connaître à l’autre partie la décision, l’auteur de la notification est libre.

La sécurité juridique sort renforcée si les parties au bail utilisent, le cas échéant, la lettre RADAR, la date utile étant clairement affirmée.

Alors que l’article R. 145-1-1 du Code de commerce, abrogé (V. supra) ne prévoyait que la date de première présentation, le nouveau texte vise deux dates : celle de l’expédition pour celui qui procède à la notification, celle de la première présentation pour le destinataire.
La solution binaire n’est pas nouvelle.

Elle est la copie de celle énoncée à l’article 668 du Code de procédure civile, depuis le décret n° 2002-1436 du 3 décembre 2002 (art. 25).

En conséquence, une lettre, envoyée le dernier jour du délai dans lequel la notification devait être réalisée, est régulière si elle est présentée par les services de la poste au destinataire habilité à la recevoir (V. la jurisprudence fondatrice : Cass. 2e civ., 5 oct. 1983 : Bull. civ. 1983, II, n° 157 et 158 ; D. 1984, inf. rap. p. 239, obs. Julien ; RTD civ. 1984, p. 568, obs. R. Perrot ; JCP G 1986, II, 20560,note Joly.  – Cass. 2e civ., 27 avr. 1988, n° 87-13.069 : JurisData n° 1988-000803 ; Bull. civ. 1988, II, n° 99). L’article R. 145-38 nouveau du Code de commerce, comme le prévoyait déjà l’article R. 145-1-1 dudit code, se contente implicitement (l’évidence s’impose) de la seule présentation à la bonne adresse et à la bonne personne. Comme pour l’application de l’article 669 du Code de procédure civile, la date de l’expédition de la notification en cause par voie postale est celle qui figure sur le cachet du bureau d’émission, et celle de la « remise » est celle qui est apposée par l’administration, lors de la première présentation au destinataire et non, comme dans l’article 669, alinéa 2 du Code de procédure civile, la date du récépissé ou de l’émargement. Cet alinéa ne vise pas seulement l’expédition d’un courrier par voie postale, mais couvre le cas d’une remise en mains propres ou dans les mains d’un mandataire habilité.

Le nouvel article R. 145-38 du Code de commerce qualifie de « remise », la seule présentation, alors que l’alinéa 3 de l’article 669 du Code de procédure civile ne prend en considération que la seule remise au destinataire.

Cette différence avec l’article 669 du Code de procédure civile a déjà été approuvée par l’ensemble des praticiens afin d’éviter la pratique souvent dilatoire ou visant à ruiner les effets de la notification, rendant sa réédition tardive et donc inopérante, de l’absence de retrait des lettres RADAR par les destinataires. Il n’en reste pas moins que cela souligne le danger de cette méthode de notification car rien n’assure son destinataire qu’il a été véritablement informé.

Cette nouvelle réglementation applicable dès le 14 mars 2016, montre bien les limites du recours à la lettre missive, même recommandée. C’est dire que la formule de Jean-Pierre Blatter selon qui, il faut « bannir la lettre recommandée » au profit de l’acte extrajudiciaire, reste toujours un sage conseil. D’ailleurs, en ce sens, la Cour de cassation a admis que la notification par acte d’huissier d’une lettre recommandée avec DAR, lettre qui avait été retirée par le destinataire hors délai, avait pu produire ses effets (Cass. 3e civ., 16 oct. 2013, n° 12-20.103 : JurisData n° 2013-022821 ; Loyers et copr. 2013, comm. 339, note Ph.-H. Brault; D. 2013, actu. p. 2463 ; D. 2014, p. 1659, spéc. p. 1667, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2014, p. 604, obs. J.-P. Blatter ; Administrer déc. 2013, p. 30, note J.-D. Barbier).

Le nouvel article R. 145-38, en forme d’aveu des dangers implicites que comporte l’usage de la lettre recommandée, dispose que : « lorsque la lettre n’a pas pu être présentée à son destinataire, la démarche doit être renouvelée par acte extrajudiciaire ». Nombreux sont les cas où le RADAR ne trouve pas la cible. La recommandation implicite doit être saluée. La formulation adoptée par le pouvoir réglementaire conduit à penser que la répétition de l’envoi d’une lettre RADAR afin qu’elle soit retirée n’est, a priori, pas possible. Seul l’exploit d’huissier semble utilisable. De là à penser que les tares de la lettre RADAR sont reconnues par les auteurs du texte, il y a un pas que l’on est tenté de faire. En tout cas, la sagesse commande, en un domaine où il ne faut pas faire d’erreur, à oublier la première branche de l’alternative, dès lors que l’auteur de la notification n’est pas doté de l’expérience pratique ad hoc et ne maîtrise pas la consultation des fichiers publics, seraient-ils accessibles par voie électronique.

LOYERS ET COPROPRIÉTÉ – REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR – AVRIL 2016

LOYERS ET COPROPRIÉTÉ - REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR - AVRIL 2016

S’abonner