[Edito] Les marchands de la mosquée

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°19

François Sureau
« Le diable n’est pas dans la matière du réel, mais dans les idées absurdes qu’on s’en fait, comme Chesterton l’avait relevé. »

Devant à regret interrompre cette chronique, j’aurais aimé prendre congé de vous sur une note gaie et réjouissante. «Adieu, ami lecteur, disait Stendhal, songez à ne pas passer votre vie à haïr et à avoir peur».
Il est peu d’habits aussi difficiles à porter que ceux du colonel Ronchon, que malheureusement le spectre de l’actualité vous tend à peu près tous les matins ces temps-ci. Mais il est difficile de rester silencieux lorsqu’on voit comment la question de l’islamisme force les politiciens à s’aventurer sur les terres, généralement inconnues pour eux, de la pensée. Il faut être indulgent. Rien ne prépare notre personnel politique à de telles aventures. Ses membres ont, pour la plupart, choisi très jeunes un métier où toute idée s’adultère sitôt qu’exprimée, gâtée dès le moment de sa formulation par le calcul et ces interactions de boules de billard qui forment les trajectoires combinées de la démagogie et du carriérisme. J’en prendrai deux exemples, le premier assez ancien, l’autre d’avant-hier.

Le premier est donné par le célèbre discours du Caire de Barack Obama. Le président des États-Unis y attribue sans sourciller au monde musulman la découverte de la boussole (inventée par les Chinois) et de l’imprimerie (interdite de diffusion de Gutenberg jusqu’aux presses de Boulaq, en Égypte, à la fin du XIXe siècle). On peut désirer panser un amour propre historique blessé, voire réparer les torts incontestés du colonialisme occidental, mais pas au point, espère-t-on, d’attribuer aux Inuits l’invention du chiffre zéro ou aux Navajos la découverte du mouvement des planètes.

Le second exemple est donné par une résolution récente, votée en avril 2016 par l’assemblée générale  de l’UNESCO, et qui annule, de manière très bureaucratique, le lien historique entre le peuple juif et le temple de Jérusalem. Cette résolution, introduite par de nombreux pays arabes, a été votée par la France. Elle a été assortie d’un commentaire de la directrice générale de l’UNESCO, se référant, sans doute pour en atténuer la portée, au caractère sacré de Jérusalem pour les « trois grandes religions monothéistes », ensemble conceptuel, comme on sait, entièrement dépourvu de pertinence. La théorie de la bêtise étant plus opérante, dans la plupart des cas, que celle du complot, on préférera penser que Mme Bokova ne sait tout simplement pas ce qu’elle dit. Ni d’ailleurs ce qu’elle fait, puisque, ramenant tout à cette politique administrative dont elle a l’habitude, à l’exclusion du reste, c’est au président du CRIF qu’elle écrit pour expliquer l’intenable position de l’organisme qu’elle préside, alors que ce ne sont pas seulement les juifs que cette résolution blesse, mais la vérité et l’intelligence elles-mêmes. Il est vrai que le rédacteur de son courrier eût été bien en peine de lui proposer, à ce dernier titre, une liste de destinataires.

Nous avons longtemps cru que le totalitarisme possédait seul le triste privilège de déformer le réel, avec l’aide efficace, chez nous, de ses compagnons de route, écrivains convertis au
fascisme ou dominicains maolâtres. Le diable n’est pas dans la matière du réel, mais dans les idées absurdes qu’on s’en fait, comme Chesterton l’avait relevé. La tentation du pieux mensonge, on le voit aujourd’hui, n’épargne pas les démocraties libérales. Pour qu’elles y cèdent, il y suffit d’un peu de lâcheté. Que cette lâcheté s’avance masquée par de bons sentiments ne change rien à l’affaire.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 19 – 9 MAI 2016

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 19 – 9 MAI 2016

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