[Edito] Pépites d’audience

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°20

Pascale Robert-Diard
« À la lecture du Palais indiscret de Jean-Paul Lacroix, des pépites … »

Peut-être est-ce un effet des pages jaunies mais je me régale à la lecture du Palais indiscret de Jean-Paul Lacroix, ex chroniqueur judiciaire au Canard Enchaîné , publié en 1965. Ses portraits d’avocats, Vincent de MoroGiafferi, César Campinchi, Maurice Garçon, René Floriot et autres géants, sont truffés de ces pépites qui, de génération en génération, sont répétées, déformées, embellies sans doute mais qui font la légende du palais et de ses gens.

Moro-Giafferi défend un homme. Il avance imprudemment à propos de son client que celui-ci n’a jamais été condamné. « Je vois pourtant dans le dossier qu’il a eu cinq condamnations…, relève le président. Certes, enchaîne Moro-Giafferi. Mais il a fait la guerre. Un peu de son sang rouge a giclé sur son casier judiciaire noir et en a fait une page blanche ! ».

À un président qui lui demandait : « Pour combien de temps en avez-vous, Maître ? Moro répondit : Le temps que la cour comprenne. Ça peut être long ».

À un substitut malveillant : « Cette balance qui est l’attribut de Thémis, vous n’êtes pas obligé d’en être le fléau ! »

Jean-Paul Lacroix livre aussi cette anecdote sur Tixier-Vignancour. En avril 1951, sur le coup de midi, alors que le magistrat instructeur du tribunal
militaire décrochait son képi pour aller déjeuner, Tixier entre en coup de vent. « Un mot seulement, mon capitaine, dit-il. J’ai un client qui marie
sa fille demain, il a été condamné à la Libération, je serais si heureux de lui annoncer qu’il est amnistié… Qu’est-ce qu’il a fait votre client ? Oh ! trois fois rien : quelques petits articles sous l’Occupation. Il a eu seulement un an de prison par contumace. Qui est-ce ? Oh ! son nom ne vous dira rien. Il s’appelle Destouches. Un toubib… »

Deux jours plus tard, les journaux sortirent avec une énorme manchette : « Céline amnistié ! »

Voici encore celle-ci, de Me Léon Cléry. Il défend un père meurtrier, vitrier de son état : « De toutes les marchandises qui se trouvaient dans son magasin, la vertu de sa fille était certes la plus fragile… ».

Dans un court chapitre consacré aux avocats généraux, ces magistrats chargés de soutenir l’accusation dans le procès, il cite l’un d’eux, Trouard-Riolle, dont les perles étaient si réputées que l’on avait inventé pour elles l’expression de « trouard-riollismes ».

Ainsi a-t-on pu entendre, lors de son réquisitoire prononcé au procès de Marguerite Steinheil, ex maîtresse de Félix Faure, accusée en 1908 de l’assassinat de son mari et de la mère de celui-ci (elle sera acquittée) : « Depuis longtemps, le thermomètre de leur amour n’était plus au même diapason ».

Et Jean-Paul Lacroix rappelle « ce délicat chef d’œuvre de l’art oratoire » attribué à l’avocat général Casabianca. Il requérait dans une affaire atroce
de meurtre accompagné de castration : « MM. les jurés, vous n’aurez pas de pitié pour cette femme qui, dans un geste de violence inouïe, après avoir tué son amant infidèle, n’a pas hésité à lui trancher les testicules… ». Il prit un temps et acheva d’une voix dramatique : « …dont il était porteur, ce jour-là ! »

Fin XIXe, procès de l’assassin Prado. Son défenseur, Me Comby, venait de terminer sa plaidoirie, fort médiocre, et le président posa à l’accusé la question rituelle : « Avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ? Oui, répondit-il. J’ai à la refaire ».

On ne se méfie jamais assez des « derniers mots » d’un accusé.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 20 – 16 MAI 2016

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 20 – 16 MAI 2016

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