Extrait de la Revue : La Semaine Juridique – Notariale et Immobilière n°19
Libres propos
Divorce hors le juge : le notaire doit-il devenir un greffier ?
POINTS CLÉS ➜ Dans un amendement déposé le 30 avril 2016, il est proposé d’intégrer au projet de réforme sur l’action de groupe et l’organisation judiciaire, un nouvel article 229-1 du Code civil consacrant une procédure de divorce hors le juge ➜ Si, en apparence, cette disposition semble opérer une juste répartition des rôles entre avocats et notaires, elle s’avère à la réflexion une menace tant pour la sécurité juridique de l’acte que pour l’avenir du notariat

Mustapha Mekki, professeur à l’université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité
Le rapport J21 – sur la justice du XXIe siècle – avait été très clair : le recours au juge doit devenir une mesure ultime
afin qu’il puisse se recentrer sur ses fonctions essentielles. S’est engagé en ce sens depuis de nombreuses années un mouvement de déjudiciarisation visible tant au sein de réformes générales, telle que l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, qu’au sein de mesures plus ponctuelles, souvent par le biais discret et dangereux d’un simple amendement. Tel est le cas du futur article 229-1 du Code civil proposé par un amendement n° CL186 à l’article 17 de la loi sur l’action de groupe et l’organisation judiciaire, qui pourrait constituer une menace bien dissimulée pour l’avenir du notariat (M. Mekki (dir.), L’avenir du notariat, LexisNexis, juin 2016, à paraître). Cet article dispose que « Lorsque les époux s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils peuvent, assisté chacun par un avocat, constater leur accord dans une convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats et établi dans les conditions pré- vues à l’article 1374. Cet accord est déposé au rang des minutes d’un notaire, lequel constate le divorce et donne ses effets à la convention en lui conférant date certaine et force exécutoire ».
La lettre est claire : le législateur veut proposer une procédure de divorce par punctation, par étapes successives, faisant d’abord intervenir les avocats, qui se chargent d’établir le negotium qu’ils renforcent par l’établissement d’un acte contresigné conformément aux dispositions du nouvel article 1374 du Code civil. Pour conférer à cet accord date certaine et force exécutoire, il est déposé au rang des minutes d’un notaire. Cette disposition soulève plusieurs difficultés. La première se rapporte à la technique du dépôt au rang des minutes du notaire, la deuxième au choix politique qui est discrètement opéré.
1. Les problèmes d’ordre technique
Sur le plan technique, le dépôt au rang des minutes du notaire confère à l’acte « date certaine et force exécutoire ». Ce dépôt avec l’acte est alors mentionné dans le répertoire des actes de l’étude et conservé en minutes dans ses archives. Peut-on considérer qu’il s’agit pour autant d’une véritable authentification ? Absolument pas. L’authentification suppose une réception. L’acte déposé n’est pas réellement « reçu » par le notaire. Selon Laurent (Principes de droit civil français, Tome XIX n° 102 p. 102), « le notaire reçoit un acte, c’est dire qu’il doit être présent quand les parties déclarent leurs volontés ».
Le notaire n’a pas assisté à l’échange des consentements réalisé devant les seuls avocats. Par conséquent, l’acte a date certaine et a force exécutoire mais n’a pas la valeur d’un acte authentique. Un parallèle s’impose avec l’article 1441-4 du Code de procédure civile qui dispose que « Le président du tribunal de grande instance, saisi sur requête par une partie à la transaction, confère force exécutoire à l’acte qui lui est présenté ».
Cette force exécutoire ne suffit pas à faire de l’acte déposé un acte authentique. Ainsi, après le contrat judiciaire (CPC, art. 1441-4), mi contrat mi jugement, nous aurions le contrat notarial (C. civ., art. 229-1 nouv.), mi sous seing privé mi notarié. Par conséquent, selon l’analyse la plus rigoureuse, seul l’acte constatant le dépôt aurait la valeur d’un acte authentique. En revanche, l’acte déposé est dépourvu d’authenticité, sauf lorsque le dépôt a été effectué avec reconnaissance d’écriture et de signature (D. 14 oct. 1955, art. 68), par toutes les parties ou par celle ou une de celles dont le document porte l’engagement, l’authenticité ne valant alors qu’à l’égard de cette dernière.
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LA SEMAINE JURIDIQUE – NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE – N° 19 – 13 MAI 2016