Extrait de la Revue : La Semaine Juridique – Notariale et Immobilière n°20
NOTAIRE
Le notaire et la justice du XXIe siècle
ARNU Reims, 18 mars 2016
Avant-propos
Si les organisateurs et intervenants du sixième colloque de l’Association Rencontres Notariat-Université de Reims étaient dès le départ convaincus de l’actualité et de l’intérêt du thème choisi, « le notaire et la justice du XXIe siècle », les récents propos du nouveau ministre de la Justice et garde des Sceaux, relatifs à l’état de la justice en France, n’ont pu que les renforcer dans cette conviction. Christiane Taubira, alors qu’elle était membre du Gouvernement, s’était engagée à procéder à une réforme d’ampleur de la justice qu’elle jugeait nécessaire de moderniser et d’adapter à l’évolution de la société. La seule évocation de ces enjeux laisse deviner les interrogations nombreuses que l’on peut avoir quant au rôle du notaire, considéré habituellement comme l’homme du contrat, dont les liens avec le monde de la justice sont pourtant multiples et déjà très anciens. Dans cette perspective, et sans oublier de l’apprécier également à la lumière de la volonté connue de l’Union européenne, il est apparu judicieux d’essayer de définir le rôle du notaire d’une double manière, avec l’éclairage conjoint des universitaires et des praticiens, conformément à la vocation de l’ARNU.
Le rapport relatif au développement des modes amiables des règlements des différends, fruit de la mission confiée par Christiane Taubira à l’Inspecteur général des services judiciaires, en évoquant ne serait-ce que « l’insuccès de la médiation judiciaire », ne peut que susciter l’intérêt, voire la curiosité, et conduire à s’interroger sur les solutions à mettre en place. Bien entendu, la lecture des développements consacrés par ce même rapport à la conciliation et à la médiation incite à réfléchir à la place que pourrait légitiment prendre le notaire dans les modes alternatifs de règlement des litiges. Ce n’est évidemment pas qu’à d’indispensables rappels terminologiques, par exemple pour tenter de différencier les notions susvisées de « médiation » et de « conciliation », que s’est livrée Lucie Mayer, professeur à l’université de Reims, mais à un tour d’horizon général permettant de situer la place du notaire, compte tenu notamment de son statut, de sa culture et de ses compétences, dans ces modes de règlement des litiges qui concernent aussi d’autres acteurs. Ces premiers propos se devaient d’être complétés par ceux de praticiens expérimentés. Ils furent tenus par Jean-Claude Jacob, notaire à Amboise, et Damien Brac de la Perrière, directeur des affaires juridiques du Conseil supérieur du notariat, venus partager leur expérience de la médiation notariale, laquelle est indiscutablement devenue une réalité, notamment au travers de la mise en place de structures adaptées dans plusieurs villes de France.
Mais la place du notaire ne saurait se résumer à ces formes d’intervention, car ce serait oublier le rôle que joue le notaire en tant qu’auxiliaire de justice, également. Cécile Pérès, professeur à l’université de Paris Panthéon Assas (Paris 2) a parfaitement su rappeler la « souche judiciaire » du notariat, ainsi que, au fil des réformes, le renforcement de la place du notaire aux côtés du juge. Doit-on, dans ce registre aussi, souhaiter que le notaire participe toujours davantage à l’administration de la justice ?¹ Sans doute est-ce parce que les règles auxquelles il peut se trouver soumis dans le cadre de cette activité d’auxiliaire de justice sont parfois fort différentes de celles qu’il applique quotidiennement, que le notaire peut naturellement parfois ne pas se sentir aussi à l’aise que lorsqu’il établit, de manière tout à fait classique, des contrats, de quelque nature qu’ils soient. Ainsi, et ce n’est qu’un exemple, en matière de partage judiciaire, le notaire doit prendre en compte des notions plutôt inhabituelles pour lui, telles que le principe du contradictoire, ou laisser de côté des préoccupations qui constituent le fil rouge de son exercice quotidien, telles que son incontournable devoir de conseil. Et ce domaine d’activité, excellemment évoqué par Christophe Pierret, notaire à Reims, ne constitue qu’un des exemples de l’activité du notaire dans son rôle particulier d’auxiliaire de justice.
Les étudiants du master 2 de droit notarial de l’université de Reims, efficacement dirigés par Nathalie Baillon-Wirtz, continuèrent de démontrer la réalité, ainsi que la pertinence d’un mouvement de déjudiciarisation au profit du notariat, entrepris à travers diverses réformes, plus ou moins récentes (changement de régime matrimonial, délivrance des actes de notoriété, par exemple) au cours de la table ronde destinée à clôturer l’après-midi, en évoquant en particulier la renonciation à succession et l’acceptation à concurrence de l’actif net lesquelles pourraient, suite aux propositions formulées par la profession notariale, ne plus relever que de cette dernière.
Que les réformes suggérées soient amenées ou non à voir le jour, dans le prolongement de l’indiscutable évolution constatée à travers plusieurs réformes législatives, telles que la loi du 23 juin 2006 ou, plus récemment encore, la loi du 28 mars 2011 avec son lot de nouveautés en matière de Pacs, les participants à ce colloque ne pouvaient qu’être attentifs à l’ensemble des propos développés au cours de cette journée très instructive. Ce n’est pas seulement l’intérêt juridique attaché aux brillants propos des orateurs qui a retenu l’attention de l’auditoire. Ce sont aussi les perspectives de développement d’activités complémentaires, peut-être même totalement nouvelles, imposées au notariat français par l’entrée en vigueur de la loi Macron du 6 août dernier
Jean-Louis Landes
Docteur en droit, notaire, président de l’ARNU Champagne-Ardenne
¹Ndlr : à l’heure où nous mettons sous presse, signalons un amendement déposé le 30 avril 2016, proposant d’intégrer au projet de réforme sur l’action de groupe et l’organisation judiciaire, un nouvel article 229-1 du Code civil consacrant une procédure de « divorce hors le juge » (V. M. Mekki, Divorce hors le juge : le notaire doit-il devenir un greffier ? : JCP N 2016, n° 19, act. 610). Dans ce dispositif, chacun des époux aurait recours à un avocat, dont l’un rédigerait la convention de divorce. Celle-ci serait ensuite déposée au rang des minutes d’un notaire chargé de lui donner force exécutoire (V. JCP N 2016, n° 20, act. 662).
LA SEMAINE JURIDIQUE – NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE – N° 20 – 20 MAI 2016