[Article] Entretien avec Thomas Diemer sur les jeunes agriculteurs

Extrait de la Revue de Droit Rural

Entretien

Les Jeunes agriculteurs confrontés à la nouvelle agriculture

Thomas DIEMER, président des Jeunes agriculteurs

Devant l’évolution du monde agricole et des perspectives à venir, nous avons souhaité connaître le sentiment du président des Jeunes agriculteurs, M. Thomas Diemer. Ce syndicat professionnel agricole dont les responsables professionnels sont des agriculteurs âgés de moins de 35 ans, a été créé en 1957 et comprend, en 2012, plus de 50 000 adhérents sur quelque 100 000 agriculteurs de moins de 35 ans. Pour suivre son actualité, il existe une page internet (http://www.jeunes-agriculteurs.fr) ainsi qu’un fil twitter (@JeunesAgri).

 

Fabrice Collard : Comment sortir de la crise agricole ?
Thomas Diemer : Chez Jeunes agriculteurs, nous sommes convaincus qu’une sortie durable de la crise ne se fera que par un travail collectif de structuration des filières.
De quoi s’agit-il ? L’agriculteur est le premier maillon de la chaîne alimentaire. Les prix des matières premières agricoles sont déconnectés des prix payés par les consommateurs. Jeunes agriculteurs a initié un travail de fond avec l’ensemble de son réseau dans tous les bassins de production pour l’organisation des filières agricoles afin capter davantage de valeur. Pour cela, plusieurs pistes :
Les coopératives agricoles, détentrices de nombreuses marques agroalimentaires, sont historiquement les outils de la profession agricole. Elles doivent être à l’écoute des producteurs pour répondre à leurs besoins, notamment en période de crise. Pour cela, nous souhaitons que des jeunes agriculteurs rejoignent leurs gouvernances.
Pour lutter contre la volatilité des prix des produits agricoles, il est nécessaire de mettre en place des outils qui sécurisent les agriculteurs, notamment les jeunes. Le contrat est un de ces outils car il permet, pour une qualité correspondant à un débouché, de sécuriser l’agriculteur sur un prix, un volume et une durée. Mais cet outil ne sera efficace que s’il est collectif, c’est-à-dire négocié avec l’aval par les organisations de producteurs.
Pour peser dans le rapport de force « producteurs – industriels » nous appelons les producteurs à se regrouper dans des organisations de producteurs (OP) indépendantes.
Enfin, pour se distinguer dans le marché mondial, Jeunes agriculteurs encourage le développement de la création de valeur ajoutée dans les filières et sur nos exploitations agricoles

 

F. C. : Quel dispositif permettrait d’assurer un revenu décent à l’agriculteur ?
T. D. : Il n’existe pas un dispositif permettant la sortie de crise. La situation ne pourra s’améliorer que grâce à une convergence des politiques nationales et européennes et dans un même temps, la restructuration des filières.

 

F. C. : Comment améliorer la politique d’aide à l’installation et l’accompagnement des Jeunes agriculteurs ?
T. D. : La politique d’aide englobe à la fois l’accompagnement financier, technique et humain. Il existe deux aides principales auxquelles peuvent prétendre les jeunes agriculteurs :
– la dotation aux jeunes agriculteurs (appelée DJA) varie en fonction de la zone d’installation et des caractéristiques du projet d’installation. Elle permet de compléter la trésorerie nécessaire au démarrage de l’activité ;
– des prêts subventionnés à taux inférieurs à ceux du marché.
Cependant, en raison des taux de marché très bas depuis plusieurs années, cette aide est très peu attractive. Nous travaillons actuellement avec le ministère pour que cette subvention ne soit plus liée à un emprunt bancaire et pour qu’elle soit à la place intégrée dans l’enveloppe de la dotation.
Le dispositif d’installation comprend aussi un accompagnement technique et humain. Il existe dans tous les départements des « points d’accueil installation » entièrement dédiés à l’accueil des porteurs de projet. Le jeune peut aussi bénéficier d’un conseil personnalisé via les CEPP pour l’aider à construire un business plan et suivre des formations complémentaires.
Enfin, rappelons que l’aide à l’installation passe aussi par l’entretien des relations entre cédants et nouveaux installés pour que la mise en relation soit la plus évidente possible.

 

F. C. : Faut-il revenir à une logique d’offre (où la puissance publique apporte les garanties indispensables dès que la demande ne suit plus), ou faut-il progresser vers une adaptation au marché potentiel ainsi qu’aux goûts et à la santé des consommateurs ?
T. D. : L’agriculture est soumise à des facteurs conjoncturels importants (aléas climatiques et sanitaire, forte volatilité des prix) c’est pourquoi le secteur a besoin d’une protection de la part des pouvoirs publics.
Parallèlement, la profession doit faire un pacte alimentaire avec la société. Il est impératif pour elle de rester à l’écoute de la demande, la comprendre et s’y adapter. Par exemple, la tendance aujourd’hui est l’approvisionnement en local. Cette demande s’est répercutée sur l’offre puisque nous constatons que les jeunes sont plus tournés vers les circuits courts, l’agriculture biologique et les signes de qualité que la génération précédente.

 

F. C. : Ferme des mille vaches et petite structure d’exploitation bio : deux formes d’exploitations inconciliables sur un même territoire ? À quoi ressemblera l’agriculture de demain ? L’exploitation de type familial est-il un modèle à sauvegarder ?
T. D. : Selon nous, la France a besoin de tous les modèles d’exploitations à condition que les capitaux de celles-ci soient détenus par des agriculteurs et non des investisseurs. C’est la condition pour que l’agriculteur reste maître de son outil de travail et puisse le transmettre au moment de son départ en retraite.

 

F. C. : Le nombre d’agriculteurs ne cesse de baisser, que préconisez-vous ?
T. D. : Il est important de rendre le métier d’agriculteur attractif en intensifiant les politiques d’accompagnement des jeunes.   50 % des éleveurs partiront en retraite dans les dix prochaines années : si nous voulons répondre au défi de la pyramide des âges, nous devons avoir des politiques ambitieuses pour les jeunes.
Pour que des jeunes décident d’exercer ce métier demain, il faut mettre en place des stratégies sur des exploitations pour créer de la valeur ajoutée supplémentaire.

 

F. C. : Les dispositifs mis en place pour lutter contre la perte de foncier agricole sont-ils satisfaisants ?
T. D. : Heureusement que des dispositifs (contrôle des structures, statut fermage) existent mais ce sont des systèmes faciles à contourner. La preuve en est, l’achat de 1 700 hectares de terre agricole dans l’Indre par un groupe chinois dernièrement.
Nous voulons des politiques foncières rénovées pour limiter ces phénomènes de contournement (renforcement des SAFER, création d’un registre des actifs agricole, rééquilibrage du statut du fermage…)

 

F. C. : Pourquoi les producteurs de lait, à l’abri des prix puis des quotas ne se sont-ils pas constitués davantage en groupements au sein de leurs coops ? L’état a-t-il suffisamment aidé les exploitants à s’organiser ?
T. D. : Il n’y a pas eu assez d’anticipation de la fin des quotas, c’est une certitude. Le niveau d’organisation que l’on doit trouver maintenant nécessite un temps d’apprentissage. En tant que syndicat agricole, nous encourageons les producteurs de lait à se regrouper en organisations de producteurs.

 

F. C. : Aujourd’hui, quelle stratégie adopter ? Quelles sont vos propositions ? Existe-t-il des projets en cours pour aider les exploitants à mieux s’organiser ?
T. D. : Ce n’est pas à l’échelon national que nous pouvons décréter quelque chose. C’est une construction qui doit se faire à l’échelle de bassin de production et en région.
Mais ce n’est pas impossible, loin de là : la filière comté s’est très bien structurée. Si la volonté est là, ça ne peut que fonctionner.

 

F. C. : À quoi ressemblera l’agriculteur de demain ?
T. D. : L’agriculteur de demain devra conserver un fort potentiel de diversification et de débouchés. En effet, il faut une agriculture française qui puisse répondre à toutes les demandes. De plus, l’agriculteur de demain fera preuve d’innovation aussi bien les pratiques que dans les façons de produire et de vendre.

 

F. C. : L’Uberisation touche-t-elle l’agriculture ? Si oui sous quelle forme ? Est-ce une chance ou un obstacle ?
T. D. : De tout temps, l’approvisionnement des ménages directement à la ferme, sans passer par les circuits de distribution traditionnels, existait.
Supprimer les intermédiaires entre producteurs et consommateurs est une aubaine pour la profession, mais ne peut être une solution pour tous les marchés et toutes les productions. Nous encourageons donc la multiplication de ces initiatives à condition que les agriculteurs gardent une main dessus et qu’il n’existe pas à terme une plateforme en situation de monopole.

Propos recueillis par Fabrice COLLARD

 

 

REVUE DE DROIT RURAL – REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR – JUIN-JUILLET 2016

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