Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°23
Denis Mazeaud
« Le Gouvernement lance la réforme du droit de la responsabilité civile. La Chancellerie a choisi la méthode de la démocratie participative. »
Après l’épopée de la réforme du droit des contrats, de la preuve et du régime des obligations et alors qu’on commençait à peine à reprendre son souffle, le Gouvernement remet le couvert et lance la réforme du droit de la responsabilité civile. Comme hier, la Chancellerie a choisi la méthode de la démocratie participative pour mener à bien ce nouveau chantier et chacun est donc invité à émettre ses observations, ses remarques, ses critiques et que sais-je encore sur le nouvel Avant-projet, publié sur le site du ministère de la Justice. Juristes en herbe ou spécialistes incontestables, voire incontestés, vont donc pouvoir se prononcer sur ce texte et faire part de leur déception ou leur enthousiasme, c’est selon.
Les uns et les autres relèveront l’admission de la cessation du trouble illicite et, donc, la consécration d’une nouvelle fonction, corrective, de la responsabilité.
Les mêmes se féliciteront ou se lamenteront du maintien des clauses générales classiques (faute et fait de la chose) et sur la promotion d’une nouvelle (troubles du voisinage), notamment parce que le pouvoir du juge en sort renforcé. D’autres remarqueront, en revanche, que ce pouvoir est sans doute canalisé, voire neutralisé, par le texte qui dispose que les « responsabilités du fait des choses et du fait d’autrui peuvent être mises en jeu dans les cas et les conditions prévus par la loi »… Les arrêts Jand’heur et Blieck , entre autres, n’auront donc pas de descendance.
On peut prédire une certaine unanimité des uns et des autres à propos des dispositions favorables aux victimes, parce qu’elles emportent un surcroît de justice pour celles-ci : d’abord, l’indifférence de la faute de la victime inconsciente sur le montant de sa réparation ; ensuite, l’exigence d’une faute grave de la victime d’un préjudice corporel pour diminuer la réparation qui lui est due ; enfin, l’alignement, en matière d’accidents de la circulation, de l’indemnisation des victimes conductrices sur celle des victimes non conductrices.
On peut imaginer par ailleurs que sera fort commentée la règle qui modifie substantiellement le tracé de la frontière entre les deux ordres de responsabilité, et dispose que l’indemnisation des dommages corporels relève de la compétence exclusive de la responsabilité délictuelle. Écho du mot fameux de Jean Carbonnier, « c’est artifice de faire entrer là-dedans (dans la responsabilité contractuelle) des bras cassés et des morts d’hommes ; les tragédies sont de la compétence des articles 1382 et suivants », la règle nouvelle rayera désormais de la carte les obligations contractuelles de sécurité !!!
Enfin, il ne faut pas être grand clerc pour prédire que l’admission de l’obligation de modérer le dommage, en dépit de la résistance acharnée dont a fait preuve la Cour de cassation depuis plusieurs années, fera sans doute beaucoup jaser. Tout comme l’amende civile, dont le succès supposera tout de même que les victimes soient animées par un grand esprit d’altruisme, si ce n’est de solidarité, puisque les sommes récoltées à ce titre iront dans les caisses d’un fonds de garantie ou du Trésor public… Il n’est pas interdit de rêver… À moins, bien sur, que le juge puisse relever cette sanction civile d’office en respectant le principe du contradictoire.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 23 – 6 JUIN 2016