Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°23
LA SEMAINE DU DROIT LES ACTEURS
Inscrit au barreau de Versailles depuis 42 ans, l’avocat d’assises Jean-Yves Liénard n’a pas encore rangé sa robe et témoigne de l’évolution, pas toujours pour le meilleur, de sa profession.
Attention cet homme robuste au timbre d’Imperator est un récidiviste ! Anarchiste déclaré, il n’aime pas les uniformes mais sa robe est une seconde peau dans laquelle il se dit prêt à « rempiler » quarante nouvelles années, après 800 plaidoiries prononcées depuis sa prestation de serment en 1974. Des milliers d’heures d’audience qui n’ont pas entamé l’ardeur de Jean-Yves Liénard pour son art.Star des pénalistes et pénaliste des stars (Depardieu qu’il imite parfaitement, Tapie, Dumas, Dalle…), sans bouder les médias, il ne courtise pas les journalistes et jure qu’il ne se racontera ni dans un livre, « exercice vaniteux », ni dans une émission de variétés. Le bâtonnat, un ruban, une rosette, les honneurs ? Très peu pour lui ! Pas envie d’être labellisé « comme un camembert ».
Seule compte pour maître Liénard, la considération de ses confrères, lui qui a côtoyé tous les grands : Floriot, Badinter, Pollak, Naud, Leclerc… C’est en les observant qu’il dit avoir tout appris, rappelant qu’à l’époque il n’y avait pas d’école du barreau.
Reçu 2e au CAPA après avoir repris ses études à 27 ans, l’ancien vendeur de chaussures issu d’une modeste famille ouvrière est adoubé par le bâtonnier Damien qui le sacre premier secrétaire de la conférence du stage. Trois mois plus tard, il débute aux assises à Beauvais puis multipliera les commissions d’office.
Il admet avoir vécu un âge d’or, car tout a changé…en mal ! Jurés plus répressifs, « à force de rabâcher sur la délinquance, la récidive, ça finit par marquer les esprits » ; mais aussi les clients qui, de plus en plus, exigent de leur avocat une obligation de résultat ; sans compter 25 ans de réformes pseudo progressistes qui auraient sacrifié les libertés publiques à l’efficacité : nombre d’instructions divisé par trois, comparutions immédiates, religion du mandat de dépôt, CRPC…L’avocat en garde à vue ?
Une humiliation tant pour le policier que pour l’avocat qui sans accès au dossier, « ne sert à rien » ! On a opéré une sorte de « fonctionnarisation larvée de l’avocat » soupire-t-il. L’appel criminel ? Difficile d’être contre mais « sur les quantum on n’y a pas gagné » et sur les acquittements, avec l’appel du parquet, le bon tennisman qu’est maître Liénard rappelle qu’il est dur de gagner, et le match aller et le match retour. Un tribunal criminel sans jurés ? Stupide ! La cour d’assises est le dernier lieu de démocratie directe, autant faire juger par des robots. Si on commençait par appliquer la loi en matière de détention provisoire, on viderait déjà les prisons du quart des détenus tonne-t-il, fronçant d’épais sourcils.
À ceux qui le voient en « bateleur », il oppose le mystère des assises où il faut un sens, une perception de l’audience. Alors certes, nul besoin de l’agrégation en droit, mais ne pas croire que c’est facile ! Il faudra au pénaliste une somme de qualités rares et particulières d’humanisme, l’amour de l’autre, l’absence de jugement, une connaissance de la vie, mais aussi une force morale hors norme, voire une certaine rusticité, pour affronter la violence des assises. Il lui arrive encore de détester certains juges mais reconnaît que la plupart sont loyaux et tempèrent des jurés parfois viscéraux. Sa matière, c’est la « pâte humaine » ; son quotidien, le malheur, les comportements les plus extrêmes, l’horreur, dont il confesse avoir fini par « se blinder », sans doute aidé par son adoration pour la littérature et la musique, fasciné par le beau et par le talent. « Je ne suis pas Mozart, je le regrette, mais je suis un bon Salieri » s’amuset-il. « En écoutant certaines œuvres, je pourrais retrouver foi » sinon en Dieu, au moins en une forme d’espérance.
Un mélomane qui chante Brassens, un Versaillais qui fuit les salons, un « anar » qui glorifie de Gaulle, « le dernier à avoir fait primer l’intérêt général », un laïc qui aurait la foi, Me Liénard, qui s’en étonnera, ne se laisse pas saisir si aisément.
Fabrice Raoult
Ils ont dit
« L’interdiction de porter le foulard islamique “peut être licite dans une entreprise”, dès lors qu’elle se fonde sur une règle interne de neutralité au travail », d’après des conclusions de l’avocate générale allemande de la CJUE. Selon Juliane Kokott, la religion « peut représenter pour de nombreuses personnes une partie importante de leur identité » et la liberté de l’exercer « constitue l’un des fondements des sociétés démocratiques ». Mais on peut attendre d’un travailleur « une certaine retenue pour ce qui concerne l’exercice du culte au travail, que ce soit en matière de pratiques religieuses, de comportements motivés par la religion ou, comme en l’espèce, de tenue vestimentaire ». Saisie par la Belgique et la France, la CJUE ne rendra pas sa décision définitive avant plusieurs mois (Le Figaro, 1 er juin 2016).
« Plus rapide, plus simple la justice se met là à la portée des citoyens et c’est une bonne chose » a estimé Denis Salas, magistrat et essayiste, à propos du projet de loi « Justice du 21e ».
« Ces deux nouvelles procédures (divorces et infractions routières hors du tribunal) illustrent la justice du 21e siècle. Nous avons moins besoin d’État, de juges que d’une capacité sociétale de s’auto-organiser, de travailler par le contrat.
C’est un pari pour faire en sorte que la société française régisse elle-même ses problèmes et non pas par un recours systématique au » (Europe 1, 29 mai 2016).
« La pénurie des moyens des juridictions ne leur permet plus de fonctionner correctement » et « nuit aux justiciables et à l’efficacité de
la politique pénale ». Les présidents de la commission des lois à l’Assemblée nationale et au Sénat jugent « nécessaire que les pouvoirs publics en prennent acte et en tirent les conséquences », dans « une initiative inédite », ils se sont rendus au TGI de Créteil puis à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy (D. Raimbourg et P. Bas, AFP, 30 mai 2016).
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 23 – 6 JUIN 2016