Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°26
François Vialla, professeur des universités, directeur du Centre européen d’études et de recherche droit & santé
UMR 5815, université de Montpellier SFR ASMES
CAA Nancy, 16 juin 2016, n° 15NC02132 : JurisData n° 2016-011639
En janvier 2014, le Dr K., médecin en charge de M. Vincent L., prenait, pour la seconde fois, la décision, d’interrompre les suppléances vitales dispensées à son patient. La position du praticien fut finalement validée par le Conseil d’État (CE, ass., 24 juin 2014, n° 375081, n° 375090, n° 375091 : JurisData n° 2014-014262 ; D. 2014, p. 1856, note D. Vigneau ; D. 2014, p. 2021, obs. A. Laude ; JCP A 2014, act. 824, M. TouzeilDivina; JCP G 2014, 825, F. Vialla ; Rev. dr. et santé 2014, n° 61, p. 118 obs. B. Legros) . Sollicitée, la Cour EDH a considéré que la mise en œuvre de cette décision ne serait pas contraire à la Convention (CEDH, gr. ch., 5 juin 2015, n° 46043/14, Lambert c/ France : JurisData n° 2015-013113 ; JCP G 2015, act. 732, obs. F. Sudre ; JCP G 2015, 805, F. Sudre ; Gaz. Pal. 3 sept. 2015, p. 7 et s., G. Mémeteau ; D. 2015, p. 1625, F. Vialla ; RGDM 2015, n° 56, p. 43-78) .
Mais, entre-temps, le médecin en charge de M. Vincent L. a changé. Le 7 juillet 2015, le Dr Daniela S. a fait connaître sa « décision de conduire une nouvelle procédure collégiale », préalable nécessaire à une éventuelle décision d’arrêt de traitement. Par un communiqué de presse en date du 23 juillet 2015, le CHU de Reims faisait savoir que ce médecin avait décidé de suspendre la procédure.
L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy intervient après qu’appel ait été relevé de la décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (TA Châlons-en-Champagne, 9 oct. 2015, n° 1501768, n° 1501769 : JurisData n° 2015-024742 ; Médecine et droit 2016, p. 33-36, note F. Vialla).
Sur le premier point, la cour administrative d’appel de Nancy confirme la décision des premiers juges. Le neveu du patient considérait qu’à la suite de l’arrêt du Conseil d’État, le CHU « était tenu à l’exécution de sa décision du 11 janvier 2014 et devait demander au Dr. [Daniela S.], ou à tout autre médecin […] » de la mettre en œuvre.
Telle n’est pas l’analyse de la juridiction nancéenne qui rappelle, tout d’abord, que la limitation ou l’arrêt de traitement d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, susceptible de mettre sa vie en danger, « ne peut être prise que par le médecin en charge du patient et n’être mise en œuvre que par ce même médecin ou sous sa responsabilité ». La cour constate que l’auteur de la décision initiale n’est plus en charge du patient, elle considère donc que celle-ci « est devenue caduque » et qu’elle ne pouvait plus être exécutée.
Tout comme le tribunal administratif avant elle, la cour souligne que le principe d’indépendance professionnelle et morale du médecin faisait obstacle à ce que le Dr Daniela S. s’estime liée par la décision de son prédécesseur et qu’il ne permettait pas davantage au CHU de lui imposer qu’elle adopte une position identique à celle de son confrère.
La cour administrative d’appel de Nancy considère que la volonté du Dr S. « d’engager, sous sa propre responsabilité, une nouvelle procédure collégiale aux fins de réunir l’ensemble des éléments, médicaux et non médicaux, lui permettant de forger son appréciation » ne méconnaissait pas le droit du patient « de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d’une obstination déraisonnable ».
L’arrêt, ensuite, se départit de l’analyse menée par les premiers juges s’agissant de la suspension de la procédure collégiale entreprise. Cette position du médecin, révélée par le communiqué de presse du CHU, est une décision faisant grief justifiant l’action du neveu du patient.
Les juges précisent, tout d’abord, que la décision prise par le Dr S. est sans lien avec la demande formulée devant la juridiction de l’ordre judiciaire aux fins d’ouverture d’un régime de protection du patient (sur la désignation du tuteur, un arrêt de la cour d’appel de Reims sera rendu début juillet).
Ils soulignent, ensuite, que la décision a été prise « au motif que les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à la poursuite de cette procédure n’étaient pas réunies ». Pour la cour, les considérations « énoncées de façon très générale, ne permettaient pas de suspendre, sans fixer de terme à cette suspension, le cours de la procédure collégiale ».
Elle annule, donc, sur ce point la décision du Dr S. et, sur le fondement de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative, elle enjoint au CHU « de mettre ce médecin hospitalier ou tout autre praticien susceptible de lui succéder, en mesure de répondre aux obligations lui incombant ». Les magistrats nancéens soulignent, en effet, qu’il « découle nécessairement de cette annulation » que le praticien en charge du patient, « poursuive cette procédure ».
La formule utilisée par la cour n’est pas anodine. Depuis le 2 février 2016, une nouvelle loi a été adoptée (L. n° 2016-87, 2 févr. 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie : JO 3 févr. 2016 ; JCP G 2016, doctr. 240, P. Mistretta ; D. 2016 p. 472, A. Cheynet de beaupré ; Gaz. Pal. 29 mars 2016, p. 14, E. Terrier ; RGDM 2016, n° 59, p. 87- 122, F. Vialla ; RGDM 2016, n° 59, p. 79-86, J. Leonetti) . On peut légitimement se demander si la situation de M. Vincent L. ne devrait pas être envisagée à la lumière du texte nouveau dont on attend les décrets d’application, notamment quant aux évolutions de la procédure collégiale. En précisant que le Dr S. doit poursuivre la procédure illégalement suspendue, la cour semble bien considérer que c’est sous l’empire du droit antérieur que le praticien doit mener le processus décisionnel.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 26 – 27 JUIN 2016