[Edito] Deux mères infanticides, deux images de la justice

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°27

 

Pascale Robert-Diard
« L’infanticide, ce crime absolu. Contre l’une et l’autre, les mêmes réquisitions de peine : dix-huit ans d’emprisonnement. »

Douai, juin 2015 : Dominique C. est jugée pour avoir tué en les étouffant huit de ses nouveaux nés entre 1989 et 2000 (V. JCP G 2016, act. 880). Saint-Omer, juin 2016 : Fabienne K. comparaît pour avoir noyé sa fille Adélaïde, quinze mois, sur une plage de Berck-sur-Mer en novembre 2013, après avoir consulté les horaires des marées. L’infanticide, ce crime absolu. Contre l’une et l’autre, les mêmes réquisitions de peine : dix-huit ans d’emprisonnement. En faveur de l’une et de l’autre, la reconnaissance d’une altération du discernement au moment des faits. Dominique C. a été condamnée à neuf ans de prison. Fabienne K. à vingt ans de réclusion criminelle.

Je relis le papier écrit dans la foulée de l’arrêt rendu à Douai. « Il y a tout dans ce verdict. De la rigueur et de l’humanité. De l’intelligence et de l’indulgence. Ce juste verdict est d’abord la victoire d’une audience ». Pendant cinq jours, la cour et les jurés avaient découvert la détresse d’une femme de 160 kilos, croisé ses yeux plein de peur, de larmes silencieuses et de soumission aux autres. Ils avaient aussi vécu en direct l’aveu d’un mensonge de la part de cette accusée qui, pressée par son avocat, Me Frank Berton, avait soudainement déclaré – contrairement à ce qu’elle avait soutenu au cours de l’instruction – qu’elle n’avait pas été violée, enfant, par son père. De ce mensonge qui aurait pu l’accabler, ses juges ne lui en ont pas voulu.

Quel contraste avec le procès de Fabienne K. ! En prononçant, au terme d’un délibéré rapide, une peine plus lourde que celle requise par l’avocat général, la cour et les jurés de SaintOmer n’ont pas seulement condamné une mère infanticide, ils ont exprimé leur peur face à son mystère. L’une et l’autre n’ont cessé de croître et d’épaissir au fil de l’audience. Lorsque le procès s’est ouvert, lundi 20 juin, Fabienne K. bénéficiait d’une présomption d’irresponsabilité, d’une sorte de « désir » de compassion auxquels sa beauté et son intelligence n’étaient pas étrangers. On attendait une femme noyée de solitude, abandonnée à ses tourments de mère sous le regard indifférent de son compagnon ; on a vu apparaître une accusée cassante, autoritaire, affabulatrice et menteuse. La lanterne des psychiatres, exhortant les juges à voir la manifestation de sa folie et de ses délires dans ce qui apparaissait aux yeux des non-professionnels comme des mensonges accablants, n’a été d’aucun secours face aux fâcheuses impressions d’audience et au sentiment d’avoir été trompé.

À Douai, la justice avait offert ce qu’elle a de meilleur : elle avait su repousser les limites de la compréhension d’une accusée, découvrir, derrière l’horreur du crime, la complexité de celle qui en était accusée, son parcours de vie, ses fractures et ses fragilités. Elle avait créé de la lumière là où il n’y avait qu’obscurité.
À peine le verdict avait-il été annoncé que les deux représentants de l’accusation indiquaient d’ailleurs leur volonté de ne pas faire appel : « Dont acte. C’est un bon
procès. De la bonne justice », constataient-ils. À Saint-Omer, l’effroi a tout verrouillé. Espérons un appel. La justice gagne toujours à être rendue sans trembler.

 

 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 27 – 4 JUILLET 2016

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 27 – 4 JUILLET 2016

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