[Article] Les territoires de la justice économique en France

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°28

 

JACQUES RAIBAUT, président honoraire du tribunal de commerce de Toulouse, ancien résident de la Conférence générale des juridictions consulaires

 

 

Ce n’est que tardivement, au XVe siècle, que va se construire en France un système juridictionnel dédié aux affaires du commerce et des industries naissantes, sur le modèle italien des juges-consuls. À Toulouse, en 1549, Henri II accorde enfin, par son édit du 16 juillet, la création d’une Bourse ayant compétence juridictionnelle. Cette Bourse est permanente et son ressort territorial est celui du Parlement de Toulouse.
Quelques années plus tard, en 1563, sera créée la Bourse de Paris sur le même modèle, à l’initiative du Chancelier Michel de l’Hospital. C’est le point de départ du développement de ces Bourses sur l’ensemble du territoire : elles seront 70 à la veille de la Révolution française. Elles auraient dû, logiquement, disparaître dans l’intense activité réformatrice de la Révolution, mais l’onction élective des juges-consuls leur épargna le sort des autres juridictions de l’Ancien régime. Leur fonction juridictionnelle fut rendue autonome par le Code de commerce en 1807, qui les institua en qualité de tribunaux de commerce.

La carte judiciaire des tribunaux de commerce, jusqu’au début du XXe siècle, ne va cesser de se compléter au gré du développement de nouveaux territoires économiques. Cette carte privilégiait la proximité, mais avec les évolutions de l’activité économique, elle va subir une érosion continue. De 250 au XIXe siècle, les juridictions consulaires ne seront plus que 185 en 1980. Tentant de dessiner une carte judiciaire fondée par des choix purement rationnels, la Conférence générale des tribunaux de commerce, dès le début du XXIe siècle, se fondant sur quatre critères principaux : l’activité judiciaire du tribunal, la richesse économique du ressort, le nombre de juges consulaires, la proximité de voisinage entre les juridictions, proposera une nouvelle carte de 150 juridictions. S’appuyant assez largement sur ces travaux, la Chancellerie, en 2008, réduira la carte des tribunaux de commerce à 135.

Cette réforme de la carte de 2008 n’épuisera pas le sujet, qui vient à nouveau d’être traité par la loi Macron (L. n° 2015-990, 6 août 2015) . La carte judiciaire est modifiée : il ne s’agit plus de réduire le nombre des juridictions, mais de diversifier leurs compétences en fonction de l’importance des affaires qui leur sont soumises en matière de procédures collectives ou de conciliation. Ainsi, 19 tribunaux de commerce reçoivent une compétence exclusive, pour ces affaires, dans un ressort étendu à celui de leur cour d’appel, voire de cours d’appels voisines, dépossédant ainsi les autres tribunaux de commerce de ces mêmes ressorts. L’organisation de ce transfert partiel de compétence ne simplifie pas la lecture de la carte judiciaire des tribunaux de commerce, et ajoute quelques pièges de procédure.

La carte judiciaire des tribunaux de commerce est ainsi devenue aujourd’hui une carte en « trompe-l’œil ». Elle est souveraine pour les procédures collectives, sous réserve de l’application des dispositions dérogatoires du droit européen, mais en matière contentieuse, non seulement la loi, mais aussi les conventions, dérogent à la règle de compétence territoriale.
Ainsi, les clauses d’attribution de compétence autorisées par l’article 48 du Code de procédure civile et la jurisprudence qu’elles ont suscitée dessinent des cartes judiciaires ad hoc pour les conventions dans lesquelles elles sont insérées. La Cour de cassation admet, plutôt généreusement, que s’exprime l’imagination des parties, même dans des hypothèses de clauses optionnelles unilatérales, dès lors que ces clauses se conforment « à l’impératif de prévisibilité auquel doivent satisfaire les clauses d’élection de for » ( Cass. 1re civ., 7 oct. 2015 , n° 14-16.898 : JurisData n° 2015-022086 ). Bref, les clauses d’attribution de compétence, en matière contentieuse, rendent les parties très indépendantes de l’organisation judiciaire territoriale. Si indépendantes, que l’on pourrait penser que la carte judiciaire s’estompe au bénéfi ce d’une « nomadisation procédurale ». « Nomadisation », en outre, largement pratiquée par l’arbitrage.

À ce tableau déjà très dérogatoire, encore faut-il ajouter les compétences que la loi attribue à deux autorités administratives spécialisées : l’Autorité des marchés financiers et l’Autorité de la concurrence, dont l’articulation des compétences avec l’Autorité judiciaire est assurée par la seule cour d’appel de Paris (Pour voir la conférence : http://dai.ly/x4iri36) www.academie-legislation.fr. Rejoignez l’Académie de législation sur Facebook.

 

 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION  – N° 28 – 11 JUILLET 2016

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