[Lexis 360 Collectivités Territoriales] Des dimanches du préfet aux dimanches du maire La ville de Paris, commune parmi d’autres

 

Lexis 360 Collectivités Territoriales vous propose de télécharger un aperçu rapide de Frédéric Dieu paru dans le JCPA n°26 sur le thème : « Collectivités territoriales – Des dimanches du préfet aux dimanches du maire La ville de Paris, commune parmi d’autres »

 

La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 26, 4 Juillet 2016, act. 557

 Des dimanches du préfet aux dimanches du maire – . – La ville de Paris, commune parmi d’autres

Aperçu rapide par  Frédéric  Dieu  maître des requêtes au Conseil d’État

Par une décision QPC du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a jugé non conformes au principe constitutionnel d’égalité entre collectivités territoriales, les dispositions de l’article L. 3132-26 du Code du travail et de l’article 257 de la loi du 6 août 2015 dite loi Macron qui, à Paris, réservaient au préfet la compétence pour décider du nombre annuel de dimanches au cours desquels peuvent légalement ouvrir les commerces de détail. – Cette décision, qui fait rentrer Paris dans le « droit commun » des communes, a pour conséquence générale de transférer cette compétence du préfet de Paris, préfet de la région Île-de-France, à son maire et pour conséquence particulière de priver de base légale les vingt-deux arrêtés du 2 octobre 2015 pris par le préfet et attaqués par la ville de Paris devant le tribunal administratif de Paris

 

 

Accès au sommaire

 

  1. Le cadre du litige

 

  1. – Le litige à l’origine de la QPC

 

En octobre 2015, la ville de Paris a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler une série de vingt-deux arrêtés en date du 2 octobre 2015 par lesquels le préfet de la région d’Île-de-France, préfet de Paris, a fixé pour l’année 2015 des dérogations collectives au repos dominical dans plusieurs branches professionnelles. À cette occasion, la ville a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 3132-26 du Code du travail et du paragraphe III de l’article 257 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi « Macron ». Par une ordonnance du 18 janvier 2016, le tribunal a décidé de transmettre cette QPC au Conseil d’État.

 

Par une décision du 6 avril 2016 (CE, 6 avr. 2016, n° 396320), le Conseil d’État a décidé de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel après avoir relevé que le moyen tiré de ce que les dispositions législatives en cause « portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d’égalité entre collectivités territoriales et au principe de libre administration des collectivités territoriales, soulève une question présentant un caractère sérieux ».

 

  1. – Dimanches du préfet à Paris, dimanches du maire partout ailleurs

 

On sait que le repos hebdomadaire dominical a été consacré par la loi du 13 juillet 1906. La règle figure désormais à l’article L. 3132-3 du Code du travail qui prévoit que « dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ».

 

Nombreuses sont cependant les dérogations législatives à cette obligation législative. Au nombre de ces exceptions, qui peuvent avoir un fondement légal ou conventionnel, figurent notamment les dérogations accordées par le préfet (C. trav., art. L. 3132-20 à L. 3132-23), les dérogations reposant sur un fondement géographique (C. trav., art. L. 3132-24 à L. 3132-25-6) qui concernent notamment les « zones touristiques internationales » délimitées par les ministres chargés du travail, du tourisme et du commerce) ou encore, catégorie en cause en l’espèce, les dérogations accordées par le maire (dites « dimanches du maire ») qui sont prévues aux articles L. 3132-26 à L. 3132-27-1 et concernent le commerce de détail. Ces dernières dérogations sont d’ailleurs aussi anciennes que la règle à laquelle elles dérogent (cette dérogation municipale, déjà prévue à l’article 5 de la loi de 1906, se limitait initialement aux dimanches correspondant à un jour de fête locale ou de quartier. Une loi du 18 décembre 1934 a supprimé cette condition festive et laissé toute latitude au maire pour le choix des trois (au maximum) dimanches ouvrés annuels).

 

L’article L. 3132-26 in fine attribue cependant cette compétence, à Paris, non pas au maire mais au préfet de Paris, préfet de la région Île-de-France. Les « dimanches du maire » étaient donc à Paris, jusqu’à présent, des « dimanches du préfet ». Si la compétence pour désigner à Paris les dimanches qualifiés ailleurs de « dimanches du maire » a été attribuée à l’autorité préfectorale (d’ailleurs, initialement, préfet de police), c’est en raison du fait que la fonction de maire de Paris, recréée par la loi n° 75-1331 du 31 décembre 1975 portant réforme du régime administratif de la ville de Paris, n’existait plus lors de la loi de 1906.

 

Le nombre de ces dimanches, fixé à 3 (article 5 de la loi n° 73-4 du 2 janvier 1973) a été porté à 5 par la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 puis, à la suite des préconisations du rapport Bailly et dans une finalité de soutien à l’activité commerciale, à 12 par l’article 250 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 qui a modifié en ce sens le 1er alinéa de l’article L. 3132-26 du Code du travail et y a également ajouté l’obligation de recueillir l’avis du conseil municipal. En vertu du 2e alinéa du même article, cet avis doit d’ailleurs même être conforme lorsque le maire entend supprimer le repos hebdomadaire dominical plus de cinq dimanches dans l’année.

 

Aux termes de ce premier alinéa : « Dans les établissements de commerce de détail où le repos hebdomadaire a lieu normalement le dimanche, ce repos peut être supprimé les dimanches désignés, pour chaque commerce de détail, par décision du maire prise après avis du conseil municipal. Le nombre de ces dimanches ne peut excéder douze par an. La liste des dimanches est arrêtée avant le 31 décembre, pour l’année suivante ». Ces nouvelles dispositions trouvent à s’appliquer pour la première fois en 2016, ainsi que l’indique le III de l’article 257 de la loi, mais le second alinéa de ce III prévoit, à titre transitoire, la possibilité en 2015, par dérogation à l’article L. 3132-26 dans sa rédaction antérieure à la loi, de désigner neuf dimanches « durant lesquels, dans les établissements de commerce de détail, le repos hebdomadaire est supprimé ».

 

De même que la disposition pérenne du quatrième alinéa de l’article L. 3132-26 du Code du travail prévoyait que « À Paris, la décision mentionnée aux trois premiers alinéas [soit la décision du maire de supprimer le repos hebdomadaire dominical] est prise par le préfet de Paris », la disposition transitoire du III de l’article 257 de la loi du 6 août 2015 prévoyait que, pour l’année 2015, la décision de désigner neuf dimanches ouvrés serait prise par « le maire ou, à Paris, le préfet ». Se posait donc la question de savoir si ce sort particulier fait à la ville de Paris était conforme au principe constitutionnel d’égalité entre collectivités territoriales. La décision n° 2016-547 QPC du 24 juin 2016 juge qu’il ne l’est pas et abroge, avec effet immédiat, tant le 4e alinéa de l’article L. 3132-26 du Code du travail que les mots « ou, à Paris, le préfet » du III de l’article 257 de la loi du 6 août 2015. À vrai dire, la jurisprudence du Conseil constitutionnel était déjà assez engagée sur ce point.

 

  1. Paris, comme siège des pouvoirs publics français, relève de l’État mais Paris, comme ville touristique et commerciale, relève de son maire

 

  1. – Le « précédent » de 2009

 

La décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009 avait déjà permis au Conseil constitutionnel de confronter la question du repos dominical au principe d’égalité entre les collectivités territoriales. Cette décision portait sur les dérogations au repos dominical dans les communes et les zones touristiques.

 

N’étaient donc pas en cause les dérogations dites du maire mais une autre catégorie de dérogations prévoyant, dans le cadre d’une modification de l’article L. 3132-25 du Code du travail, l’établissement par l’autorité préfectorale de la « liste des communes d’intérêt touristique (…) et [en leur sein du] périmètre des zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente ».

 

En l’espèce, les parlementaires auteurs de la saisine avaient déjà critiqué le sort particulier fait à Paris dans le cadre du nouveau régime du repos dominical applicable dans les communes et zones touristiques. Le nouvel article L. 3132-25 du Code du travail, en renvoyant à l’article L. 3132-26, donnait en effet au préfet de Paris la possibilité de faire de cette ville une commune touristique ou de délimiter en son sein des zones touristiques, sans proposition ou consultation du maire ou du conseil de Paris. Les parlementaires considéraient que le fait qu’à Paris, contrairement à ce qu’il en était pour toutes les autres communes de France, y compris Lyon et Marseille, le préfet décide seul, créait une dérogation au principe d’égalité qui n’était justifiée par aucun critère objectif en rapport avec l’objet de la loi. Or, après avoir relevé (pt 23) que « la ville de Paris, soumise à un régime particulier en raison de sa qualité de siège des pouvoirs publics, constitue, à elle seule, une catégorie de collectivités territoriales » (qualification déjà retenue par la décision n° 82-138 DC du 25 février 1982), le Conseil constitutionnel a jugé qu’« au regard de l’objet du nouvel article L. 3132-25, c’est-à-dire de la procédure de classement d’une commune ou d’une zone touristique au sens du code du travail, aucune différence de situation ne justifie que le pouvoir de proposition, qui appartient dans la législation en vigueur au conseil de Paris, ne soit pas confié au maire de Paris comme dans l’ensemble des autres communes, y compris Lyon et Marseille ». Il en a conclu que « le 2e alinéa de l’article L. 3132-25 n’est pas conforme à la Constitution en tant qu’il renvoie au 2e alinéa de l’article L. 3132-26 ».

 

Au regard de l’objet touristique de la loi, Paris était donc une collectivité comme une autre et devait en conséquence être traitée comme les collectivités territoriales « de droit commun ». La loi était en effet sans rapport avec ce qui justifie qu’un sort et un traitement particuliers soient réservés à la ville de Paris, à savoir l’établissement dans cette ville du siège des pouvoirs publics français et le caractère de capitale institutionnelle de celle-ci.

 

Le Conseil constitutionnel n’a pas davantage vu dans l’objet commercial des dispositions législatives en cause dans la présente QPC un rapport avec cette situation particulière de Paris.

 

  1. – Une différence de situation et une différence de traitement sans rapport avec l’objet touristique et commercial de la législation du travail en cause

 

Le principe d’égalité entre collectivités territoriales est bien opérant dans le cadre d’une QPC (V. décision n° 2013-305/306/307 QPC du 19 avril 2013 – sur la taxe locale sur la publicité extérieure ; JCP A 2013, 2362) et, comme l’a montré le « précédent » de 2009, il s’applique non seulement entre collectivités territoriales appartenant à une même catégorie mais aussi entre collectivités territoriales appartenant à des catégories différentes si l’objet de la loi ne justifie pas qu’il existe des différences entre elles.

 

À vrai dire, cette décision n’était pas vraiment un précédent puisque, si elle avait imposé que soit octroyé au maire de Paris, comme aux autres maires, un pouvoir de proposition en ce qui concernait le classement de la ville ou d’une partie de celle-ci en zone touristique, elle n’avait en rien ôté au préfet le pouvoir de décider de ce classement, tout simplement parce que ce pouvoir du préfet valait pour toutes les communes et non seulement pour Paris. À cet égard, les « Dérogations sur un fondement géographique » prévues aux articles L. 3132-24 à L 3132-25-6 du Code du travail se distinguent des « Dérogations accordées par le maire » en cause dans la présente QPC. Néanmoins, au regard de l’applicabilité du principe d’égalité entre collectivités territoriales, le raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel en 2009 pour faire entrer Paris dans le droit commun de la procédure d’inscription en commune ou zone touristique était en tous points transposable à la QPC en cause. Autrement dit, le débat portait ici aussi sur l’insertion de Paris dans le droit commun des collectivités territoriales en matière de dérogations décidées par le maire.

 

Or, dans ce cadre, il était difficile pour le Gouvernement de justifier que ce qui était décidé par le maire dans toutes les communes dût être décidé par le préfet à Paris. Lors des débats parlementaires (Sénat, séance du 4 mai 2015), le ministre de l’Économie avait fait valoir que « la dérogation au repos dominical relève de l’ordre public social et c’est dans cette logique qu’est confié au maire le pouvoir de désigner les dimanches pour lesquels il peut être dérogé à la règle. Or, à Paris, l’ordre public est confié au préfet de police ».

 

Toutefois, outre qu’était ainsi opérée une confusion entre le caractère « indérogeable » d’une disposition (qui a trait à son statut et à son « degré » d’autorité juridique) et le maintien de l’ordre public au sens habituel, matériel, du terme (qui a trait à une mission relevant du pouvoir de police), le préfet de police n’avait aucun pouvoir en matière de dérogations au repos dominical puisque le pouvoir appartenait sur ce point au préfet de Paris, préfet de la région Île-de-France, lequel ne disposait d’aucune compétence en matière d’ordre public à Paris. Bref, il n’y avait pas de rapport entre l’objet commercial de l’article L. 3132-26 du Code du travail et l’ordre public. Il n’y en avait pas davantage entre le « statut » particulier de Paris, première destination touristique mondiale (statut non juridique et susceptible chaque année d’être remis en cause), et son statut de siège des pouvoirs publics (statut juridique ancien et a priori amené à durer encore longtemps). Le transfert au maire de Paris de la fixation des « dimanches du maire » en matière de commerce de détail pouvait difficilement être considéré comme ayant des incidences sur l’organisation institutionnelle ou la sécurité dans la capitale.

 

On comprend donc que le Conseil constitutionnel ait retenu dans les termes suivants qu’il n’existait pas en l’espèce de différence de situation entre Paris et les autres communes : « le fait que la ville de Paris soit soumise à un régime particulier en raison de sa qualité de siège des pouvoirs publics, ne la place pas dans une situation différente des autres communes au regard de l’objet des dispositions contestées, qui désignent l’autorité compétente pour déterminer les règles de repos hebdomadaire dominical des salariés des établissements de commerce de détail » (pt 6). Un motif d’intérêt général aurait certes pu justifier cette différence de traitement entre collectivités mais il aurait fallu que cette différence fût « en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (jurisprudence traditionnelle, rappelée au point 5). Aucun motif de ce type n’a été identifié par le Conseil constitutionnel au regard de l’objet « commercial » de la loi (pt 7).

 

Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016–547 QPC

 

 

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