[Edito] Terre

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°36

Jean Hauser
« De temps en temps, ici et ailleurs, une cure d’un humble positivisme bien tempéré nous ferait le plus grand bien. »

Terre 
«Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas… deux sanglots font un seul glas » ( Aragon, La Rose et le

Réséda ). La douloureuse affaire Vincent Lambert n’aura pas été à la gloire de notre système juridique.
Après avoir alerté les plus hautes juridictions, voilà qu’on rameute la juridiction tutélaire.
C’est la méthodologie suivie aujourd’hui dans ce type de sujet dit de « société », selon l’étonnante terminologie du Conseil constitutionnel. On convoque le ban et l’arrière-ban des « penseurs » patentés qui prétendent « élever » le débat…, tellement haut qu’on est sûr de ne plus trouver aucune solution concrète.
On reste étonné ici du nombre de songes – creux, bavards de la bulle, qui ont, alors, moult billevesées et autres calembredaines à nous servir mais surtout pas de solutions concrètes pour imposer la paix ! Le Droit ramène sur terre. Non point que la désignation d’un tuteur supprime la question de principe mais elle répond très classiquement à la nécessité de représenter une personne inconsciente et le tuteur, investi de par la loi, de la protection de la personne comme du patrimoine, aura son mot à dire. Quant au fond, il y avait au départ deux questions posées qui ont été soigneusement mélangées. Tout d’abord, les conditions d’un arrêt des soins prévu par la loi, étaient-elles remplies ? La procédure permettait d’y définir une situation objective que seule la médecine pouvait apprécier et où les juristes n’avaient pas grand-chose à dire. Ensuite, qui pouvait donner son avis et éventuellement agir pour contester ? La réponse était, cette fois, juridique et dans les réformes proches du droit civil. L’article 449 du Code civil, issu de la réforme de 2007, indique prioritairement, pour désigner le tuteur qui représentera le protégé, le conjoint, ou le partenaire et ce n’est « qu’à défaut » ( sic ) qu’apparaissent les parents dans un alinéa second, aussi respectable que soit leur avis. On pourrait trouver d’autres exemples, notamment depuis 2001, dans la hiérarchie successorale. Et puis, au fond, n’est-ce pas donner au mariage un lustre que, par ailleurs, il a perdu et dont certains devraient se féliciter ? Quant à soutenir que le conjoint désigné, du fait de sa position, est en opposition d’intérêts, encore faudrait-il déterminer quel est l’intérêt du malheureux, ce qui nous ramène au départ. Le droit positif n’a pas pour but de résoudre de grands débats, posés utilement ailleurs, mais d’assurer concrètement la solution des conflits individuels, le mieux et le plus vite possible.
Quand on ne sait pas quelle est, a priori , la réponse finale, il est parfois utile de se contenter de déterminer la procédure la plus juste pour obtenir une solution, cette dernière fût-elle imparfaite. De temps en temps, ici et ailleurs, une cure d’un humble positivisme bien tempéré nous ferait le plus grand bien.
Le juge des tutelles et la cour d’appel détiennent plus de réalité humaine simple et accessible que bien des palinodies. Le Droit est une discipline pragmatique qui n’a pas vocation à se perdre perpétuellement dans une métaphysique au sens péjoratif et nous ne sommes, d’abord, que les modestes mécanos de la société dont les rouages nous échappent. Et puis, après tout, à supposer que l’on veuille décider, à tout bout de champ, du fondamental : « Tout est dit et l’on vient trop tard depuis plus de 7000 ans qu’il y a des hommes et qui pensent ». Relire La Bruyère !

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 36 – 5 SEPTEMBRE 2016

Couverture-JCPG-36

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