À propos de l’Ordonnance du Conseil d’État du 26 août 2016 sur le burkini – Noelle Lenoir

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°36

 

CONSEIL D’ÉTAT
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Droit et valeurs fondamentales

À propos de l’Ordonnance du Conseil d’État du 26 août 2016 sur le burkini

POINTS-CLÉS ➜ Et si, contrairement à ce qu’a jugé le Conseil d’État dans son ordonnance du 26 août suspendant un arrêté municipal d’interdiction temporaire du port du burkini sur les plages de Villeneuve-Loubet, les valeurs fondamentales avaient à voir avec l’ordre public en France ?

Le Conseil d’État a tranoelle-lenoirnché : le port du burkini , jusqu’ici totalement inconnu sur les plages françaises, aux abords de Nice et aux lendemains d’une des attaques islamistes les plus meurtrières dans un climat particulièrement traumatique pour les habitants de cette région, ne peut engendrer de troubles à l’ordre public, quelles que soient les réactions émotionnelles, plus ou moins mal venues, qui se sont manifestées et pourraient perdurer ( CE, ord., 26 août 2016, n° 402742, 402777 : JurisData n° 2016- 015886 ). Le burkini , dont le nom emprunte au bikini , mais aussi à la burqa , symbole de l’oppression de la femme afghane, est tout aussi étranger aux valeurs fondamentales notamment celle de l’égalité hommes/femmes, l’affaire n’étant qu’un cas classique relevant du contrôle traditionnel des pouvoirs de police administrative des maires. Mais ce n’est peut-être pas si simple. Des modalités de contrôle très classiques sur la police municipale. – Sans doute une telle conception restrictive des pouvoirs de police administrative des maires s’inscrit-elle dans la ligne d’une jurisprudence plus que séculaire. Pour exemple l’arrêt Abbé Olivier qui annule un arrêté municipal prohibant des processions religieuses où étaient portés des habits sacerdotaux lors de funérailles ( CE, 19 févr. 1909, n° 27355 : Rec. CE 1909, p. 181 ). La mesure, selon le Conseil d’État, n’était « pas strictement nécessaire au maintien de l’ordre » et de plus, faisait-il observer, en vertu de la loi de 1887 sur les pompes funèbres, il appartient aux maires de « respecter les habitudes et traditions locales ». Le nom évocateur du burkini , tout autant que l’appartenance d’un des principaux requérants dans l’affaire de Villeneuve-Loubet au « Collectif contre l’Islamophobie en France » confirme bien, s’il en était besoin, que le débat, au fond, porte encore sur le port des signes religieux visibles, à l’exception près que le burkini n’est pas une tenue vestimentaire ancrée dans les traditions locales telle la capelina de la bouquetière niçoise. Pour autant, le Conseil d’État s’est gardé d’aborder le sujet de la cohésion sociale dans la « République laïque » qu’est la France aux termes de l’article 1er de la Constitution. Il a préféré s’inscrire sur le strict plan de la police municipale protectrice de l’ordre public au sens matériel, en éludant les aspects identitaires et sociétaux propres aux spécificités de la laïcité à la française.
Une marge d’appréciation réduite des élus locaux . – En admettant – quod non – que cette grille d’analyse très classique ait été la meilleure
voie pour garantir sur la durée la paix civile dans un pays passablement perturbé depuis ces dernières années par l’irruption de la violence dans le débat religieux, il est cependant surprenant de constater que notre Haute juridiction administrative ait retenu dans l’ordonnance du 26 août une approche des relations entre l’État et les collectivités décentralisées qui a peu changé au fi l du temps. Dans l’affaire de l’Abbé Olivier , le commissaire du gouvernement Chardenet,
pouvait s’adresser au Conseil d’État en ces termes : « Vous qui êtes appelés à jouer un peu le rôle de supérieur hiérarchique des autorités
administratives, vous devez examiner quelle est la limite des devoirs du maire et rechercher si les arrêtés de police ont été pris dans l’intérêt
du maintien de l’ordre public ». Aujourd’hui, les mots de « supérieur hiérarchique » sembleraient incongrus. Le maire n’est plus principalement – comme il l’était en vertu de la loi du 5 avril 1884 – un représentant de l’État ( CGCT, art. L. 1111-1) . Sauf à Paris, il exerce très majoritairement des pouvoirs propres. Les libertés municipales sont devenues parties intégrantes des libertés fondamentales. Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 ( L. const.n° 2003-276 ), l’article 1er de la Constitution, à côté de l’affirmation de l’existence d’une République « une et indivisible », consacre en effet « l’organisation décentralisée » de la France. Ce changement de contexte explique pour partie les réactions de certains des élus concernés, motivées par des circonstances locales très particulières et les réactions suscitées chez une partie de la population. Le juge des référés n’a pas tenu compte d’un contexte de plus en plus tendu entre le local et le national. Il aurait pu le faire en essayant de sauver l’arrêté municipal attaqué en valorisant les pouvoirs d’appréciation d’un maire confronté à une situation locale particulière, sans même évoquer les enjeux de laïcité en filigrane de l’affaire du burkini . Ne serait-il pas temps de tenir compte des contraintes renforcées des élus qui sont conduits de nos jours à engager nombre de policiers municipaux pour régler les problèmes d’ordre public que l’État ne prend plus en charge ? En exigeant des élus qu’ils pourvoient à un nombre croissant de tâches de
police administrative, dans le même temps, les juges seraient avisés de cesser de leur dénier la marge d’appréciation qui correspond à leurs … Lire la suite de l’article

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 36 – 5 SEPTEMBRE 2016

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