L’ineffectivité du contrôle sur les rétentions administratives

 Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°36

➜ LA SEMAINE DU DROIT 
INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

DROIT À LA LIBERTÉ ET À LA SÛRETÉ

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L’ineffectivité du contrôle sur les rétentions administratives

Laure Milano, professeur à l’université d’Avignon (IDEDH, EA 3976 ; LBNC, EA 3788)
CEDH, 12 juill. 2016, n° 56324/13, A. M. c/ France : JurisData n° 2016-016112
Le juge européen a apporté ces dernières semaines plusieurs précisions sur les conditions qui doivent entourer les privations de liberté, qu’il s’agisse d’assignation à résidence (CEDH, gr. ch., 5 juill. 2016, n°23755/07, Buzadji c/ Moldavie : JurisData n° 2016-013766 ; JCP G 2016, act. 895, obs. K. Blay-Grabarczyk) ou, comme en l’espèce, de rétention administrative. En l’occurrence, le requérant, entré irrégulièrement sur le sol français, fit l’objet d’un arrêté de placement en rétention en vue de l’exécution d’un arrêté de reconduite à la frontière. Il contesta la légalité du placement en rétention mais fut reconduit à la frontière avant la saisine du juge des libertés et de la détention et avant que le juge administratif ne se prononce sur la légalité de la mesure de rétention. Il invoquait la violation de l’article 5, § 4, qui garantit le droit, pour une personne privée, d’introduire un recours juridictionnel au motif de l’ineffectivité du recours devant le juge administratif. Sous cet angle, la Cour écarte le premier grief concernant l’absence d’effet suspensif du recours administratif sur la mesure d’éloignement. Elle rappelle qu’elle n’a jamais exigé que les recours prévus dans le cadre de l’article 5, § 4, ient un tel effet à l’égard de la privation de liberté relevant de l’article 5, § 1, sous f), c’est-à-dire notamment celle contre laquelle une procédure d’éloignement du territoire est en cours (§ 38), comme c’était ici le cas.
Le second grief portait sur l’ampleur du contrôle exercé par le juge administratif.
En vertu de la jurisprudence européenne, toute personne arrêtée ou détenue a le droit de faire contrôler la régularité de sa détention « à la lumière non seulement des exigences du droit interne mais aussi de la Convention, des principes qui y sont consacrés et de la finalité des restrictions permises par l’article 5 § 1 » (§ 40). Le juge européen exige un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention. La Cour observe que le juge administratif français a le pouvoir de vérifier la compétence de l’auteur de la décision de placement en rétention, la motivation de celle-ci et la nécessité du placement. En revanche, il n’a pas compétence
pour contrôler la régularité des actes accomplis avant la rétention et ayant mené à celle-ci. Notamment, il ne peut contrôler les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’interpellation de l’étranger et, ce faisant, ne peut pas vérifier que les modalités de l’interpellation ayant conduit à la rétention sont conformes au droit interne et à l’article 5 de la Convention (§ 42).
La Cour conclut donc à la violation de l’article 5, § 4. Il faut toutefois souligner que la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France prévoit qu’à compter du 1er novembre 2016, le contrôle de la légalité de la décision de placement en rétention admi-
nistrative sera transféré au juge des libertés et de la détention. Le contrôle des modalités d’interpellation relevant du juge judiciaire, cette modification devrait permettre de répondre aux exigences européennes.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 37 – 12 SEPTEMBRE 2016