EDITO
Choisir ses jurés sur internet
Pascale Robert-Diard
« Il est aujourd’hui un autre outil susceptible d’apporter bien des informations sur ces citoyens. »
On ne se lasse pas de ce moment où les citoyens désignés par le tirage au sort pour une session de cour d’assises, se serrent les uns contre les autres sur les bancs du public, intimidés par la solennité du décorum, réticents, apeurés ou curieux de l’expérience inédite de juge qui les attend. Leurs regards courent sur la salle, ses boiseries et ses pupitres, dévisagent l’accusé assis dans le box et les parties civiles qui lui font face, observent la ronde des robes, tout ce petit monde qui, pour quelques jours, parfois quelques semaines, va devenir le leur. Ils ont appris un peu plus tôt, lors de la rapide formation qui leur a été délivrée, que la première épreuve à laquelle ils vont être confrontés est celle de la récusation. « C’est toujours ce qui les inquiète le plus, raconte un président de cour d’assises expérimenté. Ils veulent savoir sur quels critères ils seront choisis ou rejetés ».
Le président plonge sa main dans l’urne, la salle tout entière se fige à l’écoute du bruit sourd ou métallique des jetons. « Juré n° 9 ». Au banc de la défense, comme au siège du ministère public, on coche le numéro dans la liste qui indique, pour chacun d’entre eux, le nom, le prénom, la date de naissance, la profession et l’adresse. Certains ont déjà été barrés ou cochés par l’une ou l’autre partie, sur ces seuls critères. L’homme ou la femme désigné(e) se lève, s’avance dans le prétoire sous les regards de maquignon des défenseurs et celui de l’avocat général. Une allure qui déplaît, ou qui rassure et la guillotine tombe – « récusé » – ou pas. Il n’est pas un avocat pénaliste qui n’ait son histoire à raconter sur la composition des jurés d’assises. La plus fameuse est celle prêtée à Robert Badinter, du temps où la peine de mort existait encore, récusant un homme dont le visage ne lui revenait pas et apprenant plus tard que celui ci était membre de la Ligue des droits de l’homme, farouchement abolitionniste.
Certains éliminent les plus âgés, qu’ils redoutent répressifs, d’autres au contraire les élisent, convaincus que l’expérience de la vie les rend parfois plus compréhensifs des tourments humains. Les présidents d’assises qui ont, eux, l’expérience des délibérés et de ce qui s’y confie, mesurent combien ces critères « objectifs » de l’âge ou de la profession, pèsent peu au regard des parcours de vie et de l’environnement familial de chaque juré dans le jugement qu’il portera sur l’accusé.
Mais il est aujourd’hui un autre outil susceptible d’apporter bien des informations sur ces citoyens.
Avec un nom, un prénom, une adresse et quelques clics, on peut découvrir une part de leur intimité en recherchant les traces qu’ils ont laissées sur les réseaux sociaux. Facebook, Twitter, Linkedin, ou pourquoi pas, les sites de rencontres comme Tinder, complètent aisément le profi l des futurs juges. Avant de les voir « en vrai » sur un banc de cour d’assises, on peut se promener dans leurs albums de vacances, feuilleter la liste de leurs amis, voir ce qu’ils aiment, lire les commentaires, parfois instructifs pour la défense ou l’accusation, qu’ils ont postés sur leur compte Facebook ou Twitter. Si Google avait existé au temps de la peine de mort, le militant de la Ligue des droits de l’homme aurait peut-être aussi été récusé. Mais pas par la défense.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 41 – 10 OCTOBRE 2016
La Semaine Juridique – Édition Générale
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck