[EDITO] L’art du délibéré

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°46

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1197

L’art du délibéré

Pascale Robert-Diard

Le secret permet tous les fantasmes. Celui du délibéré de cour d’assises, le dernier et le mieux gardé, est de ceux qui les nourrissent particulièrement. Pendant quelques jours, parfois quelques semaines, tout, absolument tout, a été débattu et contredit publiquement. Et voilà que les portes se referment sur ce petit groupe d’hommes et de femmes – des jurés citoyens, des magistrats professionnels – qui vont décider du sort d’un accusé. Aux autres, il ne reste plus que l’attente et l’imagination. Prendront-ils d’abord le café ? La jurée brune, qui semblait si sûre d’elle, va-t-elle intervenir beaucoup ? Et cet homme chauve, un peu absent, qui ne prenait pas de notes, osera-t-il prendre la parole ? Et le président, surtout le président, qui a joué un rôle si important pendant les débats, comment va-t-il se comporter, derrière ? Autocrate, manipulateur ou juste accoucheur ? J’ai eu plusieurs fois l’occasion de discuter avec d’anciens jurés. Ils sont intarissables sur ce devoir citoyen qui ne leur a pas toujours laissé de bons souvenirs. L’une d’elles, qui avait 25 ans, quand elle a été tirée au sort et qui en a dix de plus aujourd’hui, m’a raconté combien elle reste marquée par ces quelques jours hors du temps que le tirage au sort lui a offert. Jeune femme brillante, sûre d’elle, passionnée par les faits divers, elle avait eu l’impression, en recevant l’enveloppe qui la convoquait à une session d’assises, qu’elle avait « gagné au Loto ». Enfin, elle allait voir ! Elle a vu. Elle se souvient surtout de cette affaire d’accusation de viol par ascendant. Elle avait l’âge de
celle qui accusait, elle venait de perdre son père. Elle évoque ces heures où, presque malgré elle, elle a senti monter le doute sur la sincérité de la plaignante, un doute dont elle ne savait pas que faire face à la certitude agacée exprimée par la présidente. Elle dit l’expérience incroyablement forte que fut pour elle la mise en minorité pendant le délibéré. Jusqu’à cet instant surréaliste et dérangeant où, à l’annonce du délibéré, c’est sur elle que se sont portés en même temps le regard terrible de dureté du fils de l’accusé qui soutenait son père, et celui, reconnaissant, de la plaignante. J’ai eu la chance récemment de participer à une autre expérience, un documentaire-fiction sur le secret du délibéré justement, réalisé par Emmanuel Bourdieu. Pendant trois jours, à la cour d’assises du Rhône à Lyon, il a tourné dans les conditions du réel un procès d’assises, avec de vrais professionnels – Dominique Coujard, ex président de cour d’assises, deux assesseurs, Bruno Sturlese, ex avocat général, tenant la place du ministère public, les avocats Louis Balling en défense et Julia Minkowski en partie civile, un enquêteur de police, un médecin légiste – les autres rôles étant tous confiés à des acteurs. Les jurés, eux, ont été sélectionnés parmi des citoyens volontaires. La caméra les a suivis pendant le délibéré et ce moment constitue le cœur du documentaire, intitulé Dans la tête d’un juré (il a été diffusé une première fois dimanche 6 novembre sur Planète justice). Pas à pas, on suit cette fascinante maïeutique de l’intime conviction, on voit la raison et le droit se frayer un chemin parmi les impressions et les sentiments, jusqu’au moment du vote, où chacun regarde, tendu, le président et son premier assesseur dépouiller les bulletins. À voir, faute de le vivre !

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 46 – 14 NOVEMBRE 2016

La semaine juridique édition générale, n° 46, 14 novembre 2016

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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