Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°47
ÉDITO
Denis Mazeaud
« Si le doctorat constitue un gage de compétence intellectuelle, il ne garantit en rien l’aptitude professionnelle des docteurs. »
En vagabondant, à mes heures perdues, sur Internet, je suis tombé sur une pétition lancée par l’Association française des docteurs en droit intitulée « Non à la remise en cause de la « passerelle » des docteurs en droit ! » (http://www.petitionpublique.fr/?pi=P2016N48725).
Bigre, voilà qui fait froid dans le dos ! Intrigué autant qu’inquiet par l’aspect alarmiste du titre de la pétition en question, je suis donc parti à sa recherche sur le web. Quel privilège veut-on retirer à l’élite des juristes français qui peuvent s’enorgueillir de détenir le plus haut des grades universitaires ?
Il s’agit, en fait, d’une vieille guéguerre du droit entre universitaires et avocats. Ces derniers, qui manifestement n’apprécient guère les premiers à leur juste valeur…, entendent, en effet, que ceux-ci ne puissent plus accéder directement aux Écoles de droit d’avocats sans avoir à passer sous les fourches caudines de l’examen d’entrée que doivent réussir les autres candidats. En somme, les docteurs sont des candidats comme les autres et doivent donc être soumis à un régime identique s’ils veulent embrasser cette profession. Les arguments sont implacables et, au-delà des invectives et des contre-vérités, peuvent être résumés en quelques mots : si le doctorat constitue un gage de compétence intellectuelle, il ne garantit en rien l’aptitude professionnelle des docteurs.
Cris d’Orfraie de l’AFDD qui, par la plume de son président Daniel Tricot, s’indigne d’un tel affront qui fait litière de la reconnaissance de l’excellence juridique attachée en France et à l’international au doctorat, de son rayonnement international qui fait pâlir d’envie les grandes écoles, et qui prend le contrepied de la tendance européenne à la professionnalisation du doctorat. Touche pas à la passerelle, donc, ou gare !
Récemment, le Haut Conseil national du droit (fichtre, ça envoie !) a, à la majorité, exprimé un vœu qui a tous les atours d’un compromis. Plus de passerelle intégrale, mais une passerelle partielle qui consisterait à dispenser les docteurs des épreuves d’admission mais maintiendrait les épreuves du grand oral et de langue étrangère.
Pourquoi pas, d’autant que le Conseil national des barreaux, « soucieux d’apaiser le courroux » (sic !) de l’AFDD s’était déjà prononcée en ce sens ?
Quitte à jouer les trouble-fêtes, on ne peut s’empêcher de se demander si le remède proposé au prétendu « fléau » de la passerelle intégrale sera susceptible d’en guérir les maux. Il faudra, en effet, convaincre qu’obliger un docteur à passer l’épreuve de grand oral, portant sur les droits et les libertés fondamentaux, qui dure une trentaine de minutes, et une épreuve de langue, encore plus courte, permettra de contrôler outre sa compétence intellectuelle, son aptitude professionnelle à exercer la profession d’avocat… Mais ce que j’en dis, moi c’est pour dire…
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 47 – 21 NOVEMBRE 2016
La Semaine Juridique – Édition Générale
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck