Extrait de la Revue : La Semaine Juridique – Édition Sociale n°46
Jurisprudence CONTENTIEUX
Contentieux de la sécurité sociale
1399 Défense à la faute inexcusable de l’employeur
La maladie déclarée ne remplissant pas les conditions d’un tableau des maladies professionnelles, il incombait à la juridiction ayant statué sur la demande de l’assuré en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, de recueillir l’avis d’un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles dès lors que le caractère professionnel de la maladie était contesté par l’employeur en défense à cette action.
Cass. 2e civ., 6 oct. 2016, n° 15-23.678, F-P+B, SA EDF c/ M. Q. et a. : JurisData n° 2016-020290
LA COUR – (…)
♦ Attendu, selon l’arrêt attaqué, que salarié de la société EDF (l’employeur), M. Q. a déclaré, le 24 février 2010, une maladie prise en charge par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Oise (la caisse) au titre de la législation professionnelle, après avis d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ; que M. Q. ayant saisi une juridiction de sécurité sociale d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, ce dernier a contesté l’opposabilité, à son égard, de la décision de la caisse ;
Sur le premier moyen :
♦ Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen annexé qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles L. 461-1 et R. 142-24-2 du Code de la sécurité sociale ;
♦ Attendu que pour dire que l’employeur a commis une faute inexcusable à l’origine de la maladie déclarée et rejeter la demande en désignation d’un second comité, l’arrêt retient qu’il ressort des pièces versées aux débats que le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, dont l’avis n’est pas utilement critiqué par l’employeur, saisi par la caisse en raison de l’absence d’une des conditions de prise en charge de la maladie désignée au tableau numéro 30 bis, à savoir une durée d’exposition inférieure à dix ans, a constaté la réalité de l’exposition à l’amiante de M. Q. durant son activité de maintenance en centrale thermique, en particulier lors de la période 1979- 1987, et retenu un lien direct entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle à l’amiante ;
♦ Qu’en statuant ainsi, alors que la maladie déclarée ne remplissant pas les conditions d’un tableau de maladies professionnelles, la caisse avait suivi l’avis d’un comité régional et qu’il incombait à la juridiction, avant de statuer sur la demande de M. Q. en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, de recueillir l’avis d’un autre comité régional, dès lors que le caractère professionnel de la maladie était contesté par l’employeur en défense à cette action, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs :
♦ Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a dit que la société EDF est l’auteur de la faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle de M. Q., dit que la rente allouée à ce dernier sera majorée à son taux maximum, fixé les sommes dues à M. Q. en réparation de ses préjudices et dit que la Caisse nationale des industries électriques et gazières pourra exercer son action récursoire à l’encontre de la société EDF au titre de l’ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable dont cet organisme aura à faire l’avance à la victime (…)
NOTE
Cet arrêt consacre à nouveau le principe d’indépendance des rapports caisse-employeur et caisse assuré.Désormais,cette règle trouve à s’appliquer lorsque l’employeur fait l’objet d’une action en recherche de sa faute inexcusable. La procédure d’instruction des risques professionnels – issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable depuis le 1er janvier 2010 – ne fait pas obstacle, audelà du délai de 2 mois, à une défense de l’employeur tendant à remettre en cause l’imputabilité au travail du risque pris en charge.
Cette position n’est pas nouvelle ; elle n’est pas pour autant plus explicite.
En l’espèce, un salarié d’EDF ne pouvant justifier des conditions d’exposition de10 ans exigées parle tableau 30bis,la caisse de sécurité sociale, en application de l’article L. 461-1, alinéa 5 du Code de la
sécurité sociale, a saisi pour avis le comité de reconnaissance des maladies professionnelles.À la suite de l’avis du comité régional,la caisse a pris une décision de prise en charge de la pathologie au titre des maladies professionnelles en raison du lien direct entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle à l’amiante. L’assuré a alors introduit une action en recherche de faute inexcusable de son employeur, la société EDF. Pour se défendre, l’employeur entendait contester la qualification de maladie professionnelle de la pathologie.
Comme le lui permet l’article R. 142-24-2 du Code de la sécurité sociale, il pouvait exiger la saisine d’un nouveau comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Les juges du fond n’avaient pas cru utile de faire droit à cette demande tant il semblait évident que la pathologie déclarée relevait d’une exposition à l’amiante et que la faute inexcusable était démontrée dans ses 2 éléments constitutifs, à savoir la conscience du danger de l’exposition et l’absence de mesures propres à préserver le salarié. Néanmoins, la Cour de cassation annule la décision déférée aumotif qu’il incombait à la juridiction avant de statuer sur la demande en reconnaissance de faute inexcusable de recueillir l’avis d’un autre comité régional dès lors que le caractère professionnel de la maladie était contesté par l’employeur. La cour consacre ici la règle qu’elle a posée dans un arrêt du 5 novembre 2015 (Cass. 2e civ., 5 nov. 2015, n° 13-28.373 : JurisData n° 2015-024560 ; JCP E 2016, 1146, n° 20,V. Cohen-Donsimoni ; JCP S 2016, 1017, D. Asquinazi-Bailleux ; Cah. soc. janv. 2016, p. 21, note T. Montpellier ; Dr. soc. 2016, p. 193, obs. M. Keim-Bagot). L’opposabilité de la décision de prise en charge nefait pas obstacle à ce que l’employeur conteste, pour se défendre face à la demande de reconnaissance d’une faute inexcusable, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie.
Depuis le 1er janvier 2010, sur le fondement de l’article R. 441-14 du Code de la sécurité sociale, l’employeur reçoit la décision de prise en charge du risque professionnel par tout moyen permettant de déterminer sa date de réception ainsi que la décision de refus qui ne lui fait pas grief. S’ouvre pour lui un délai de 2 mois pour saisir la commission de recours amiable et contester la décision de reconnaissance prise par la caisse. Cette réforme entendait réduire le contentieux de l’inopposabilité qui permettait aux employeurs d’échapper à l’inscription à leur compte du risque professionnel en s’appuyant sur les erreurs de procédure commises par les caisses. La procédure d’information de l’employeur doit être contradictoire et l’article R. 441-14 du Code de la sécurité sociale expose les règles que la caisse doit respecter. Désormais, la contestation de l’employeur, enfermée dans un délai de 2 mois, porte tant sur la procédure de reconnaissance suivie à son encontre que sur l’imputabilité de l’accident ou de la maladie au travail. Passé ce délai, l’employeur est forclos a priori sur les 2 points, sauf à considérer que le décret du 29 juillet 2009 entend dissocier l’inopposabilité de la décision de son imputabilité au travail ou plus exactement de la procédure de reconnaissance de la qualification du risque. Nous ne le pensons pas même si le doute est permis (M. Keim-Bagot, Ne pas confondre imputabilité et opposabilité : Dr.
soc.2016,p. 193). Il est vrai qu’en permettant àl’employeur de contester la qualification du risque au-delà du délai de 2 mois suivant la notification de la décision de prise en charge, on peut effectivement penser quel’imputabilité au travail peut toujours être discutée hors ce délai. Pour l’heure, cette analyse n’est pas certaine au regard du contentieux qui se nouelors dela recherche delafauteinexcusable.En pratique, l’employeur attend d’être actionné en recherche de sa faute inexcusable pour contester la qualification du risque. Dans ce contexte, l’action en reconnaissance de la faute inexcusable est indé- pendante de la prise en charge du risque par la caisse (1) et ses effets sont suspendus par l’action de l’employeur en contestation du risque professionnel (2).
JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 46 – 22 NOVEMBRE 2016
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