Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°48
LA SEMAINE DU DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE
FILIATION
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Recherche de paternité et aliments : le père avait deux créancières !
Cass. 1 re civ., 9 nov. 2016, n° 15-27.246, P+B+I : JurisData n° 2016-022983
Yann Favier, Professeur à l’université Jean Monnet, Saint-Étienne (CERCRID, UMR 5137)
Une mère et sa fille devenue majeure peuvent-elles obtenir l’une et l’autre du père le versement d’une contribution à l’entretien de l’enfant à la suite de l’établissement judiciaire de sa paternité ?
Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 9 novembre 2016, une jeune fille âgée de vingt ans avait introduit une action en recherche de paternité à laquelle s’était jointe sa mère pour réclamer le versement d’une contribution pour l’entretien et l’éducation de sa fille depuis sa naissance ainsi que des dommages et intérêts.
La jeune fille obtient satisfaction sur le tout, la mère sur rien. Le tribunal, suivi par la cour d’appel, a en effet débouté cette dernière au motif que « l’action en recherche de paternité ayant été engagée par l’enfant devenue majeure, la mère de celle-ci est désormais sans qualité pour réclamer une contribution à l’entretien et l’éducation, seul l’enfant devenu majeur pouvant exercer cette action ».
Frappée d’un pourvoi, la décision est cassée pour violation des articles 331 et 371-2 du Code civil qui disposent que le juge statue en même temps sur la filiation et sur la demande en contribution à l’entretien de l’enfant, laquelle est fixée en tenant compte des besoins et des ressources au profit de l’enfant, même majeur. Pour la Cour de cassation, il en ressort d’une part que la recevabilité de l’action en contribution à l’entretien n’est pas subordonnée à celle de l’action en recherche de paternité – qui est en effet réservée à l’enfant ( C. civ., art. 340-2, al. 2 ) – et que, d’autre part, les effets d’une paternité légalement établie remontant à la naissance de l’enfant, la mère était recevable à agir en contribution à l’entretien et à l’éducation de sa fille.
À première vue, la solution est traditionnelle ( Cass. 1 re civ., 14 févr. 2006, n° 05-13.738 : JurisData n° 2006-032176 ; Dr. famille 2006, comm. 87, obs. P. Murat ) : les jugements et les actes relatifs à la filiation sont déclaratifs et non constitutifs, ce qui ouvre à la mère le droit d’obtenir le versement d’une somme à titre de contribution à l’entretien de l’enfant pour la période antérieure à la date d’assignation.
Les juges du fond avaient pourtant estimé que la mère aurait dû agir en recherche de paternité durant la minorité de l’enfant ou à tout le moins introduire une action aux fins de subsides : elle ne pouvait donc imputer au père de ne pas avoir contribué à l’entretien et à l’éducation de sa fille. Derrière le caractère quelque peu étrange et moraliste de la motivation consistant à reprocher à la mère de ne pas avoir exercé l’action au nom de sa fille pendant la minorité, on peut percevoir l’inconfort des juges face à une action réservée à l’enfant mais conjointement exercée par la mère et sa fille devenue majeure. Mère et fille : même combat ? C’était sans compter l’autonomie de l’action en contribution à l’entretien de l’enfant qui appartient à la mère, indépendamment de celle qui assortit la demande aux fins d’établissement de la filiation exercée par l’enfant et destinée accessoirement à obtenir la contribution de son père à son entretien pour finir ses études. Mère et fille étaient donc bien l’une et l’autre créancières du père.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 48 – 28 NOVEMBRE 2016
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck