Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°52
L’ACTION DU MOIS
Reinhard Dammann, avocat à la Cour
À la veille du soixantième anniversaire du Traité de Rome, la Fondation pour le droit continental a organisé le 23 novembre dernier à l’ambassade de France à Berlin un forum franco-allemand sur le thème « Le droit des procédures collectives et le droit des contrats ; la convergence des droits et la sécurité juridique ».
Une telle initiative était particulièrement pertinente dans la mesure où, au lendemain du Brexit, la France et l’Allemagne sont plus que jamais au centre de l’échiquier européen. À cet égard, les deux États expriment différemment la même idée : alors qu’en France on parle de couple franco-allemand, de l’autre côté du Rhin on évoque le moteur franco-allemand, ce qui en dit long sur le poids de l’industrie dans ce pays.
La première partie de la journée a porté sur un thème d’une grande actualité : la comparaison de la réforme du droit des obligations par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui est sans doute la réforme de l’année en France, avec la modernisation du droit des obligations en Allemagne (Schuldrechtsmodernisierungsgesetz) intervenue en 2002.
Avec la Schuldrechtsmodernisierungsgesetz, l’Allemagne a conçu la première réforme faisant entrer le droit des contrats dans le XXIe siècle. La réforme française ne s’est quant à elle pas contentée de codifier les avancées jurisprudentielles pour assurer leur visibilité et la sécurité juridique des contractants.
Le législateur français a également tiré les enseignements de la réforme allemande, bien que de nombreux auteurs aient initialement souligné les divergences entre ces deux droits. Force est dès lors de constater que le couple franco-allemand converge vers des solutions communes.
Ainsi, le forum franco-allemand a été l’occasion de procéder à une analyse comparée des évolutions en France et en Allemagne sur le rôle du juge, notamment dans le cadre du contrôle des clauses abusives et lors d’une éventuelle révision du contrat.
Ensuite, le forum a débattu d’un sujet d’une brûlante actualité.
En effet, la Commission européenne a publié la veille de la conférence sa proposition de directive relative à l’harmonisation des pré-procédures de restructuration et des mesures accordant une seconde chance aux entrepreneurs en Europe. Or, la finalisation de cette directive repose avant tout sur un accord franco-allemand. Tout naturellement était donc au centre des discussions la comparaison des approches française et allemande s’agissant des pré-procédures et de la conversion de créances en capital.
Historiquement, les droits de l’insolvabilité français et allemand divergent profondément quant à l’approche adoptée. La France place la protection de l’emploi au cœur des procédures collectives alors qu’en Allemagne, celles-ci sont avant tout conçues pour les créanciers. Mais les deux droits sont en train de se rejoindre dans le cadre des pré-procédures, dans la mesure où ils privilégient leur contractualisation afin de favoriser la négociation d’un plan de restructuration, approuvé par les principaux créanciers. Le couple franco-allemand retrouve dès lors des objectifs communs.
L’Allemagne a en effet introduit dans sa loi « ESUG » du 1er mars 2012 une pré-procédure dite « parapluie » qui s’inspire du couple français conciliation-sauvegarde financière accélérée.
Sur ce point, le projet de directive est bâti sur le modèle français, où les pré-procédures prennent une place croissante dans le traitement des difficultés des entreprises depuis une vingtaine d’année.
S’agissant de la conversion des créances en capital, c’est l’Allemagne qui a montré la voie en libéralisant cette possibilité dans le cadre d’un plan de sauvegarde. De son côté, la France a introduit il y a peu la conversion ou cession forcée de titres aux fins de neutraliser la valeur de nuisance d’un actionnaire qui s’oppose abusivement au sauvetage de l’entreprise par les créanciers. Mais la loi n° 2015-990 dite loi Macron, du 6 août 2015, s’est arrêtée à mi-chemin puisque ces mesures sont assorties de conditions très contraignantes.
Cette fois-ci, la future directive est bâtie sur le modèle allemand puisqu’elle prescrit aux États membres de mettre en place des mesures efficaces visant à mettre fi n aux éventuels agissements abusifs d’un actionnaire bloquant le sauvetage de l’entreprise.
Quelle conclusion tirer de cette initiative de la Fondation pour le droit continental ? Au terme du Forum franco-allemand, on ne peut que constater que, malgré les divergences initiales, le droit français et le droit allemand ont tendance à se retrouver et à converger. À cet égard, le couple franco-allemand est plus que jamais le moteur de la construction européenne.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 52 – 26 DÉCEMBRE 2016
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck