L’amitié Facebook et l’impartialité

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 4 – 23 JANVIER 2017

LA SEMAINE DU DROIT – CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

Actualités

➜ Actualités 74-78 ➜ Note 79
AVOCATS
74

L’ « amitié Facebook » et l’impartialité

Florence G’sell, professeur à l’université de Lorraine 

Cass. 2 e civ., 5 janv. 2017, n° 16-12.394, P+I : JurisData n°2017-000028
Un avocat faisait l’objet de poursuites disciplinaires engagées par le bâtonnier du barreau de Paris. Il avait déposé une requête en récusation mettant en cause l’impartialité de six membres de la formation de jugement du conseil de l’Ordre appelée à statuer sur l’action disciplinaire. Il invoquait le fait que ces personnes figuraient, sur le réseau social Facebook, dans la liste des « amis » de l’auteur des poursuites, ce qui correspondait, selon lui, à l’« amitié notoire » entre le juge et l’une des parties visée dans la liste, non exhaustive, de l’article L. 111-6, 8° du Code de l’organisation judiciaire. Était également invoqué l’article préliminaire du Code de procédure pénale qui prévoit, dans son alinéa 2, que la procédure garantit la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement.

Le 5 janvier 2017, la deuxième chambre civile a rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris ( CA Paris, pôle 2, ch. 1, 17 déc. 2015 ) ayant jugé que « le terme d’ « ami » employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme et que l’existence de contacts entre ces différentes personnes par l’intermédiaire de ces réseaux ne suffi t pas à caractériser une partialité particulière, le réseau social étant simplement un moyen de communication spécifique entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt, et en l’espèce la même profession ». Si la Cour de cassation se contente d’invoquer l’appréciation souveraine des juges du fond pour motiver le rejet, il paraît acquis qu’un lien noué sur un réseau social ne permet pas, à lui seul, d’établir un risque de partialité. Par le passé, ce risque a également été écarté lorsque les intéressés avaient simplement partagé un déjeuner en compagnie de tiers ( CA Grenoble, 31 mai 1990 : Gaz. Pal. 1991, 1, jurispr. p. 189, note M. Renard ) ou étaient issus de la même école Polytechnique ( Cass. 2 e civ., 13 juill. 2005, n° 04-19.962 : JurisData n° 2005-029467 ; JCP G 2005, IV, 3089. – V. S. Guinchard (ss dir.), Droit et pratique de la procédure civile : Dalloz, coll. Dalloz Action, 8 e éd., 2014, n°352.54 ). En revanche, le risque de partialité a été retenu en présence de liens familiaux(enfants mariés ensemble) entre les protagonistes ( CA Rouen, 19 juin 1979 : Gaz. Pal. 1979, 2, jurispr. p. 636, note P.-L. Petit ). On pourrait peut-être estimer ici que l’ « amitié » sur les réseaux sociaux pourrait constituer un indice pertinent de partialité si elle s’accompagnait d’autres éléments de nature à établir une proximité.
Le juge français n’est, en tout cas, pas seul à considérer que l’ « amitié Facebook » ne suffi t pas, en soi, à justifier une récusation. Aux États-Unis, les juges fédéraux ont pu juger que le terme d’amitié n’a pas, dans le cyberespace, un sens équivalent à celui qu’il a « lorsque les humains interagissent en tant que personnes réelles » ( SD Cal., june 23, 2010, n° 09cv1836-LAB, Williams v. Scribd ) ou que l’ « amitié Facebook » n’a « aucune signification » ( ED Pa., May 15, 2009, n° 09-1725 2009, Quigley Corp. v. Karkus ). Du côté des juridictions étatiques, la Cour suprême du Dakota a rejeté l’argument selon lequel un juge aurait dû se retirer après qu’un témoin important de la défense avait posté un message de bon anniversaire sur sa page Facebook ( SD., 2011, n° 801 NW2d 752, Onnen v. Sioux Falls Independent School District ). De même, la Cour suprême du Kentucky a jugé que l’« amitié Facebook » ne permettait pas d’évaluer quels étaient les liens réels des intéressés, dans une affaire criminelle où deux jurés étaient « amis » avec la mère de la victime ( KY., 2012, n° 381 SW3d 215n, Sluss v. Kentucky ). En revanche, en Floride, un
juge est automatiquement disqualifi é s’il apparaît que l’avocat de l’une des parties figure dans ses « amis Facebook » ( Fla., Opinion 2009-20, Judicial Ethics Advisory Comm. ).

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE

CouvJCPG4

La Semaine Juridique – Édition Générale

Le magazine scientifique du droit.

Votre revue sur tablette et smartphone inclus dans votre abonnement.

AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

S’abonner