Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°5
ÉDITO
Pascale Robert-Diard
« Tout galimatias sociologique ou psychologique tend à devenir du droit, il est temps de revoir le bonhomme pour le conformer au droit post moderne. »
Pour rappeler à l’opinion publique le rôle fondamental de la justice en ces temps de peurs et de colères, pour dénoncer le manque de moyens dont elle souffre, pour encourager les dirigeants politiques d’aujourd’hui et surtout ceux de demain, à mieux respecter les femmes et les hommes qui tentent de l’incarner, il y a deux solutions. La première est de lire l’intégralité des sombres discours prononcés en ce mois de janvier par les chefs de cour et de parquet, devant des assemblées solennelles en robes et hermine réunies dans la plus belle salle que compte chaque palais de justice. La seconde est d’allumer son écran de télévision ou d’ordinateur et de regarder la série de cinq documentaires diffusée sur la chaîne Planète (Crime et investigation) et consacrée aux procureurs.
À Bobigny, Brest, Épinal, Nîmes, Mayotte, Nice, on les suit dans l’exercice de leur travail quotidien : sur le terrain avec les policiers, face aux gardés à vue, aux prévenus et aux détenus, en conférence de presse, sur une scène de crime ou un lieu d’accident, en réunions avec les élus et les autres décideurs économiques et sociaux de la ville, et bien sûr à l’audience. On les voit aussi et surtout pendant les permanences téléphoniques, face au fl ot toujours renouvelé des violences et des tensions de la cité. Quatre-vingt à cent appels par jour au seul parquet de Bobigny. À chaque fois, une décision à prendre, une instruction à donner, et vite, au policier qui attend à l’autre bout du fil. Le stylo Bic rongé du procureur de Bobigny Sébastien Piffeteau, sa mine chiffonnée sous la lumière
trop blanche, les colonnes de dossiers dans les couloirs menaçant partout de s’effondrer sont plus éloquents que tous les discours offi ciels sur l’ordinaire de
ces Sisyphe judiciaires. « Ici, on vide chaque jour la mer à la petite cuillère » m’avait confi é un jour de 2013, la chef du service d’urgence du
parquet de Marseille, Audrey Jounaeton, lors d’un reportage sur ce service du traitement en temps réel. Fabienne Klein-Donati qui dirige au parquet de Bobigny une équipe de 53 magistrats qui ont eu à traiter 180 000 dossiers en 2015, ne la démentirait pas.
Quand le climat est plus apaisé, le temps moinscompté, les voilà hussards de la République, animant des « stages de citoyenneté » ou visitant les prisonspour vérifier les conditions de détention, comme le procureur d’Épinal, sermonnant à Nice un multirécidiviste des infractions routières – « je suis le sixième
procureur à vous recevoir » – faisant de « l’engueulothérapie
» face à un mineur à Nîmes, sillonnant l’océan avec la patrouille maritime à Brest, accablés parfois par les condensés de Code pénal qui se présentent devant eux, comme cette jeune substitut face à un homme détruit d’au moins vingt ans son aîné. Mais il y a aussi ce moment, où dans le bureau de Bobigny, le visage de Sébastien Piffeteau s’éclaire : « Envoyer les méchants en prison, c’est noble tout de même. Restituer un sentiment de justice en dégageant une équipe de trafiquants qui pourrit la vie à tout le monde, ben je trouve que des fois, ça permet de passer des soirées sympas ! ». Il faut parfois imaginer Sisyphe heureux.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°5 – 30 JANVIER 2017
La Semaine Juridique – Édition Générale
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck