La Semaine Juridique Edition Générale n°10
LA SEMAINE DU DROIT PUBLIC ET FISCAL
SANTÉ PUBLIQUE
Le vieil homme et l’enfant désiré
Jean-René Binet, professeur à la faculté de droit de l’université de Rennes 1, IODE, UMR 6262
TA Montreuil, 8 e ch., 14 févr. 2017, n° 1606644 : JurisData n° 2017-003115
TA Montreuil, 8 e ch., 14 févr. 2017, n° 1606724 : JurisData n° 2017-003102
L’article L. 2141-2 du Code de la santé publique pose, parmi d’autres conditions, une limite d’âge pour pouvoir accéder à l’assistance médicale à la procréation. La rédaction du texte est cependant empreinte de beaucoup de prudence puisqu’il y est seulement indiqué que l’homme et la femme « doivent être (…) en âge de procréer ». Ajoutée aux autres conditions, cette limite permet de construire, pour l’enfant à naître, une filiation crédible : il sera en effet issu d’un couple formé d’un homme et d’une femme vivants et, on l’a compris, en âge de procréer. Ainsi organisée, l’assistance médicale à la procréation est alors conçue comme une solution médicale à un problème également médical. L’accès n’est en effet possible qu’en cas de stérilité pathologique ou pour éviter la transmission d’une maladie à l’enfant ou à l’autre membre du couple. Parmi les conditions posées, celle qui porte sur l’âge n’est certainement pas la plus simple à appréhender. Que signifie en effet « être en âge de procréer » ? Cette question était au coeur des deux affaires jugées par le tribunal administratif de Montreuil le 14 février 2017.
Dans chacune des espèces, un homme devant subir un traitement médical susceptible d’altérer sa fertilité avait procédé, ainsi que le permet l’article L. 2141-11 du Code de la santé publique, à une auto conservation de ses gamètes. Ultérieurement, chacun avait sollicité de la directrice de l’Agence de la biomédecine (ABM) l’autorisation d’exporter les gamètes ainsi conservés aux fins de recourir, avec son épouse, à une assistance médicale à la procréation à l’étranger. Dans les deux cas, la directrice de l’ABM opposa son refus en raison du fait que l’homme, né en 1947 dans une affaire, et en 1946 dans l’autre, n’était plus en âge de procréer au sens des dispositions de l’article L. 2141-2 du code précité. Elle affirme en outre que « la volonté du législateur en 1994 à l’occasion des premières lois de bioéthique, confirmée en 2004 et 2011, était de prendre en considération l’intérêt de l’enfant à naître et de limiter le recours aux techniques d’assistance médicale à la procréation aux seuls couples en âge de procréer », précisant que « la femme n’est pas la seule concernée par la limite d’âge, l’homme connaît également une diminution de la fertilité et une augmentation des risques génétiques liés à son âge ». Ce refus est l’objet du recours en annulation favorablement accueilli dans les deux affaires. Pour motiver cette annulation, le tribunal administratif affirme que « dès lors qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne fixe un âge au-delà duquel un homme n’est plus apte à procréer, il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle examine une demande d’exportation de gamètes, de prendre en considération l’ensemble des éléments propres à la situation personnelle du bénéficiaire potentiel de l’autorisation, sans limiter son appréciation à son année de naissance ; qu’en outre, si elle estime devoir rejeter la demande, elle ne peut se borner à faire état de considérations générales dépourvues de valeur normative et sans lien direct avec la situation personnelle de l’intéressé ».
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE N°10 – 6 MARS 2017
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck