L’art de la photo manquante

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°12

ÉDITO

 Pascale Robert-Diard 

« Les mots sont là, mais il manque quelque chose. »

L’information est tombée mardi 14 mars en début d’après-midi. François Fillon a été mis en examen pour « détournement, complicité et recel de détournement de fonds publics », « complicité et recel d’abus de bien sociaux », et « manquements aux obligations de déclaration pour la transparence de la vie publique. ». Les mots sont là, mais il manque quelque chose. Pas de berline noire se garant devant la rue des Italiens, au siège du pôle financier. Pas de silhouette se rendant devant les juges sous une marée de caméras et d’objectifs. Prévue – et publiquement annoncée – mercredi matin, la convocation a été avancée de vingt-quatre heures dans le plus grand secret. Le candidat de la droite à l’élection présidentielle a pris tout le monde de court en empêchant de fixer pour l’histoire l’image de son premier rendez-vous avec la justice. Est-ce à dire que ce qui n’est pas « montré » n’existe pas ? Le pari est adroitement pris, de la part d’un homme qui, faute d’avoir pu éviter sa mise en examen, compte bien échapper au terme de l’instruction à son renvoi devant un tribunal correctionnel. François Fillon n’est pas le premier homme politique
à avoir bénéficié d’une telle discrétion. Lorsque, à la fin de son deuxième mandat présidentiel, qui signait celle de son immunité, Jacques Chirac a dû se résoudre à répondre aux questions d’un juge d’instruction dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, son avocat, Me Jean Veil, avait obtenu que celui-ci fasse le déplacement jusqu’à ses bureaux de la rue de Lille. Tout avait été prévu dans les moindres détails pour ne pas froisser les susceptibilités de l’un et de l’autre. Le rendez-vous – dont la date avait été tenue secrète – avait eu lieu dans une pièce spécialement aménagée à cet effet, et non pas dans le bureau présidentiel, le juge était entré le premier, Jacques Chirac s’était présenté ensuite, pour respecter les formes d’une « convocation ». Le jour même, la « déclaration », et non pas la « déposition » de l’ancien président avait été communiquée à la presse par Me Veil. L’exemple a été retenu et suivi par les conseils de François Fillon.
Dominique Strauss-Kahn, grand brûlé de l’image lors de son arrestation en mondiovision à New York, avait lui aussi bénéfi cié d’une entorse au calendrier prévu lors de sa mise en examen, quelques mois plus tard, dans l’affaire du Carlton – pour laquelle il a été définitivement relaxé – les juges de Lille ayant accepté d’anticiper d’une journée la date de sa convocation en mars 2012. En pleine affaire Clearstream, l’ancien premier ministre Dominique de Villepin n’avait pu, lui, échapper, à une photo volée au téléobjectif depuis la fenêtre d’un immeuble voisin sur son face-à-face avec les magistrats instructeurs. Mais de tous les personnages politiques qui ont eu à rendre des comptes à la justice, Jacques Chirac est celui qui a poussé le plus loin l’art de l’absence. À l’ouverture de son procès, en novembre 2011, ses avocats avaient présenté un certificat médical assurant que l’ancien président n’était « pas en mesure de répondre à des questions sur son passé » en raison de son état de santé. Le procès a eu lieu face à un fauteuil vide, Jacques Chirac a été condamné, mais nulle photo infamante n’en témoigne.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 12 – 20 MARS 2017

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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