La non réforme du droit de la preuve

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°14

LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA VIE DES IDÉES

CYCLE VERS QUEL DROIT DES CONTRATS ?

La non réforme du droit de la preuve

Jean Devèze, professeur à la faculté de droit, université de Toulouse I Capitole

Tout bouge… et rien (ou presque) ne change au fond car les nouveaux articles 1353 à 1386-1 du Code civil se contentent de reprendre purement et simplement des dispositions antérieures, d’intégrer d’autres textes (l’acte sous-seing privé contresigné par avocat) ou des acquis jurisprudentiels (les contrats sur la preuve), de moderniser et généralement de clarifier la rédaction de règles préexistantes. La loi d’habilitation n’incitait certes pas à révolutionner la matière mais obligeait-elle à consacrer huit articles au serment et à ne souffler mot des nouveaux modes de preuve, sauf la reprise des articles relatifs à l’écriture et à la signature électronique…
comme si rien n’avait changé depuis 1980 ! Fallait-il maintenir les principes relatifs à la preuve dans les titres relatifs aux obligations alors qu’ils concernent tout autant les personnes, la famille, les biens.
Était-il impossible de les réunir en tête du code – ainsi que les principes processuels – où demeure isolé le très bel article 10 (Chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité) ? On peut d’autre part sérieusement douter que l’autorité de chose jugée concerne l’établissement des faits et il est inexact d’écrire que la présomption légale – que le texte ne définit plus – dispense de rapporter la preuve ; elle en déplace l’objet ! Objet de la preuve totalement absent d’ailleurs du titre nouveau. Le plus grave est sans doute le silence délibéré (?) sur les problèmes actuels majeurs : l’emprise – l’empire – des nouvelles technologies (demain les blockchains) ainsi que les conflits de droits fondamentaux. Le Code civil (version Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 ) est déjà dépouillé par la loi pour une République numérique au profit du Code des Postes ! qui fait renvoi au règlement UE 910/2014 dit eIDAS. La fiabilité présumée de la signature électronique – dont la preuve contraire est quasiment impossible – est réaffirmée mais n’est en réalité supportable que si un professionnel, notaire ou autre, intervient. L’acte juridique le plus courant, l’ordre de paiement suit la logique inverse : lorsque l’utilisateur de service de paiement nie avoir autorisé l’opération, c’est au prestataire de prouver qu’il a agi frauduleusement ou commis une négligence grave, preuve quasiment impossible ( Cass. com., 18 janv. 2017, n° 15-18.102, P+B+I : JurisData n° 2017-000509 ).
La légalité de la preuve et son prolongement la loyauté – également ignorées par la réforme – n’obéissent plus à des règles certaines. Tout est conflits de principes fondamentaux résolus, sous le regard de la Cour européenne de droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, par le recours à un principe de proportionnalité à propos duquel on est conduit à se demander si la Cour de Cassation ne va pas se muer en juge du fait. Au crédit des textes nouveaux un point qui n’est pas de détail : « La copie fi able a la même force probante que l’original » ( C. civ., art. 1379 ). C’était déjà le cas lorsque l’original avait été perdu ; ce l’est désormais lorsque l’original n’est pas conservé. Un petit pas en théorie, un immense progrès en pratique puisque la voie est ainsi ouverte à l’archivage électronique.
Pour voir la conférence : http://dai.ly/x5ez92l. Le site de l’Académie de législation : www.academie-legislation.fr – Suivez l’Académie de législation sur Facebook.

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LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°14  – 3 AVRIL 2017

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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