Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°16
ÉDITO
Pascale Robert-Diard
« Des images restées fixées à jamais dans la mémoire du juge d’instruction ou du procureur qu’ils étaient ce jour-là. »
Ce sont des images crues, entêtantes, poisseuses parfois. Les dossiers de papier et leurs milliers de cotes sont rangés, certains ont jauni depuis longtemps, mais elles sont restées, fixées à jamais dans la mémoire du juge d’instruction ou du procureur qu’ils étaient ce jour-là. Ils les ont confiées au journaliste Dominique Verdeilhan qui les a consignées dans un livre, « Des magistrats sur le divan » ( Editions du Rocher ; V. dans ce numéro Vie des idées ). Christophe Barret, aujourd’hui procureur de la République à Montpellier, sortait tout juste de l’ENM, lorsqu’il a été nommé juge d’instruction à Bourg-en-Bresse. On est en janvier 1993. Dans un petit village de l’Ain, Prévessin-Moëns, à quelques kilomètres de la frontière suisse, une maison a pris feu. On signale 3 morts, une femme et deux enfants. Le père est le seul rescapé, il est hospitalisé. Les corps des victimes sont examinés. Tous ont été tués par balles. L’affaire Jean-Claude Romand vient de commencer. On saura bientôt que ce faux médecin, qui s’était inventé une vie de chercheur à l’OMS à Genève, a aussi assassiné ses parents et tenté de tuer sa maîtresse. Chargé de l’instruction, Christophe Barret décide de procéder à une reconstitution en présence de Jean-Claude Romand. Ils entrent dans la maison. « Dans la cuisine, le petit-déjeuner est encore servi. Collé à un meuble,on retrouve un post-it sur lequel il est écrit : Papa, je t’aime. Un homme s’évanouit, tombe comme une masse dans la cuisine. Pas le mis en examen, mais un gendarme de l’escorte », raconte Christophe Barret. Rémi Heitz était procureur de la République à Metz, quand on lui annonce un carambolage dramatique sur l’autoroute. Il se rend sur les lieux, puis dans la chapelle ardente où les corps sont alignés, avec des étiquettes attachés au pied. « Dans la foulée, je suis allé à l’hôpital rencontrer les blessés. Certains me demandaient si j’avais des nouvelles de leur mari ou de leur épouse. C’était une scène d’horreur et d’effroi car j’avais vu leurs noms quelques minutes avant sur une fiche de médecine légale et je ne pouvais rien leur dire ». Le 24 mars 2015, un Airbus A320 de la Germanwings parti de Barcelone avec 150 personnes à bord s’écrase contre une paroi rocheuse dans les Alpes-de-Haute-Provence. Le procureur de Marseille Brice Robin survole le lieu de la catastrophe en hélicoptère. « 150 personnes en résidus humains, désarticulés. Un seul ressemblait encore à un corps humain.
Cela heurte la conscience ». Un peu plus tard, venu pour l’enquête à l’aéroport de Barcelone, le procureur demande à visionner les images des caméras de surveillance. Scènes banales d’aéroport. Les passagers à l’embarquement – « ils discutent, ils rigolent, ils consultent leur téléphone » – puis on voit l’avion qui
décolle : « J’ai arrêté de regarder la vidéo ». Maryvonne Caillebotte, avocat général à la cour d’appel de Paris, reste hantée par l’image de deux jumelles mortes dans une baignoire. « Je n’ai pas assuré sur la décision judiciaire, je n’ai pas ouvert d’enquête, j’ai mal géré de bout en bout. Pour moi, c’est une faillite professionnelle ce dossier. Je me suis trompée à 100 % ». Elle ajoute : « Quand vous vous trompez, c’est votre histoire. Pas celle de votre hiérarchie ». Des images, il y en a des dizaines d’autres dans ce livre. Elles disent beaucoup du métier, de sa solitude, de sa violence parfois, du pouvoir qu’il donne et qui fait trembler.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°16 – 17 AVRIL 2017
La Semaine Juridique – Édition Générale
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck