Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°18
ÉDITO
Jean Hauser
« Nous sommes en train de revenir à la mesnie et aux communautés taisibles du Moyen-Âge. »
Les juristes aiment bien les passages statutaires et les « familialistes » n’y échappent pas. Ces biefs essentiels qui jalonnent la vie (qui n’est elle-même qu’une série d’étapes ?) déterminent le statut juridique, l’ouverture de droits, la soumission à des obligations etc… Seulement ces écluses sont devenues très vagues parce qu’attentatoires à la liberté et se transforment en moments « sociaux » indéfinissables. Il en est par exemple ainsi de la majorité. Certes elle est à 18 ans, en attendant qu’un législateur, frappé par l’inactivité, ne la ramène à 16 ans, mais la réalité est toute autre. On a parfois souligné, dans une perspective très banale, que c’était quand on lave son linge ailleurs qu’en famille. Tout de même, cette majorité lingère paraît bien dépassée puisque si l’émancipation à l’égard d’une mère lavandière ou d’un père blanchisseur pouvait avoir une valeur symbolique, on ne voit guère le symbole de la séparation d’une machine à laver, fût-elle familiale ! Pas question non plus de retenir une signification économique, voire résidentielle, que le législateur a exclue en prolongeant par un délicat euphémisme l’obligation d’entretien des parents. Serait-ce l’avènement du premier enfant ? Encore faudrait-il qu’on en fît et le recours aux grands-parents est tel qu’on se demande, là encore, s’il y a symbole de majorité véritable. La mise en couple n’est pas mieux défi nie. Si l’on retient le mariage ou le Pacs qui font encore passage institutionnel, le concubinage, qui fait recette, a aussi fait entrer le couple dans l’ère du fait brut indéfinissable, encore que le législateur y fasse souvent référence. La statistique nous apprend tout de même que, pour beaucoup de nos concitoyens, ainsi réunis autour d’un nouveau symbole, l’achat ou la location (encore que le cautionnement familial y soit formalité obligée) d’un bien immobilier constitue ce passage : le nid fait le couple (au moins provisoirement), ce qui explique la sollicitude de notre législateur pour le « logement de la famille ». Donc la durée se résume désormais à l’immobilier, voire à la propriété, souvenir solide de l’attrait d’un peuple d’agriculteurs pour la pierre. Le passage à la maturité serait moins gai. Selon une formule reçue, on parle de la mort jusqu’à celle de ses parents puis de sa mort ensuite, mais quid des centenaires ? À des stades rythmés par des cérémonies et des banquets, succède donc un continuum adapté à chacun mais qui rend l’organisation juridique des familles aléatoire, à supposer même qu’on la souhaite. De toute façon, la notion même de famille est devenue vague et on trouve, à côté, « l’entourage », les amis, ceux qui s’intéressent à… l’intéressé, et même ceux qui sont « concernés » ( ?) etc… Au fond nous sommes en train de revenir à la mesnie et aux communautés taisibles du Moyen-Âge et à ceux dont on disait simplement qu’ils vivaient à même feu et à même pot.
D’un côté l’individualisme exacerbé des droits à…, de l’autre des phalanstères aux frontières indéfinies. On est loin du fameux pamphlet du fils d’un professeur de droit : « Familles je vous hais ! Foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur » ( A. Gide, Les nourritures terrestres : Gallimard ). Faut-il y substituer plus prosaïquement, « Familles à tous vents » ou encore « J’y suis, j’y reste ». Décidément cette époque est bien difficile à comprendre.
LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°18 – 1er MAI 2017
La Semaine Juridique – Édition Générale
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck