Le Conseil d’État vient de clore le débat : le maire, autorité de police municipale, n’est pas compétent pour restreindre ou interdire les épandages de produits phytosanitaires à proximité des habitations des riverains (CE 31 déc. 2020, n° 439253, n° 440923). Lesdits produits ressortent d’une police spéciale confiée exclusivement aux représentants de l’Etat, ministre de l’agriculture, le cas échéant ministres de la santé, de l’environnement et de la consommation, et préfets.
Cette solution est sans surprise. La figure du maire garant de l’ordre public s’est effilochée au fil du temps et il n’en reste, à la vérité, plus grand chose. Il n’y a pas que les questions environnementales qui sont en jeu ; la gestion de la crise de la Covid nous a encore révélé combien la police est, en France, éminemment du ressort de l’Etat (CE ordo. 17 avr. 2020, n° 440057). Mais il en est particulièrement ainsi en droit de l’environnement.
Le législateur a en effet institué en la matière de nombreuses polices spéciales et le Conseil d’Etat a conforté au fil de sa jurisprudence l’exclusivité de ces polices relevant de la compétence de l’Etat. Les circonstances locales particulières anciennement évoquées pour justifier l’intervention du maire, pas plus que le principe de précaution, ne peuvent « permettre à une autorité publique (en l’occurrence au maire, autorité de police municipale) d’excéder son champ de compétence ». Tel est le sens notamment de l’arrêt du Conseil d’Etat de 2012 s’agissant de la culture des OGM (CE 24 sep. 2012, n° 342990). Ce que nous apprend cette nouvelle décision du 31 décembre 2020 c’est que la carence de l’autorité de police spéciale n’y change rien.
On se souvient en effet que les maires qui avaient adopté les arrêtés en cause l’avaient fait après que le Conseil d’Etat a annulé l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques en tant qu’il ne comprenait pas de dispositions propres à protéger les riverains, « personnes vulnérables ». L’annulation est assortie d’une injonction aux ministres de prendre les mesures nécessaires dans un délai de six mois (CE 26 juin 2019, n° 415426). Au surplus, alors que la loi EGALIM du 30 octobre 2018 prévoit que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des habitations est subordonnée à des mesures de protection inscrites dans des « chartes d’engagements » à élaborer à l’échelle départementale (art. L. 253-8-III C. rur.), le décret d’application auquel la loi renvoie n’était pas adopté à l’heure où les maires décidaient d’user de leur pouvoir de police municipale. Depuis lors, le décret et l’arrêté du 27 décembre 2019 relatifs aux mesures de protection attendues sont venus préciser la procédure d’adoption de ces chartes, ainsi que leur contenu. Notamment, des règles de distance entre la propriété des riverains et les zones traitées sont fixées, sauf à ce que des garanties équivalentes, inscrites dans les chartes d’engagements, puissent être apportées. L’institution de ces « zones de non-traitement » (ZNT) résout donc la carence du pouvoir réglementaire sanctionnée par le Conseil d’Etat.
Il reste que leur cadre légal et réglementaire est contesté. Une demande d’annulation des décrets et arrêté du 27 décembre 2019 a été déposée devant le Conseil d’Etat notamment en tant que les distances d’éloignement retenues seraient insuffisantes (le recours est pendant après rejet de deux référés suspension, CE ordo. 10 février 2020, n° 437814, CE 15 mai 2020, n° 440346). Par ailleurs, le Conseil Constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L.253-8-II du Code rural susvisé (CE 31 déc. 2020, n° 439127), dans la mesure où ses dispositions ne prévoit pas les modalités de la procédure de participation du public préalable à l’adoption des chartes d’engagement, celles-ci ayant été fixées par le décret du 27 décembre 2019, alors que l’article 7 de la Charte de l’environnement attribue au législateur la compétence pour le faire.
Pour autant, il est dorénavant entendu que les maires, autorités de police municipale, ne pourront de nouveau suppléer le vide laissé par d’éventuelles invalidation et annulation. Cela ne signifie pas que nulle prescription ne pourra être opposée à l’agriculteur, ni que d’autres stratégies juridiques ne pourront être poursuivies. Le droit de l’environnement encadrant la production agricole ne manque pas de ressources, notamment lorsqu’il s’agit de l’utilisation des produits phytosanitaires. C’est de cet ensemble normatif qu’il convient dorénavant de s’emparer tant le droit de l’environnement est aujourd’hui présent dans tous les actes de l’entreprise agricole. Outre les contraintes qui s’imposent pour limiter les pollutions agricoles, le droit déploie tout un arsenal tendant à inciter les agriculteurs à adopter des pratiques respectueuses de l’environnement.
Carole HERMON, Professeure de droit à l’Université Toulouse 1 Capitole et Directrice du master Droit et gestion des entreprises agricoles et agroalimentaires
Pour approfondir :
Carole Hermon est également la co-auteure de Production agricole et droit de l’environnement, avec Isabelle DOUSSAN et Benoît GRIMONPREZ, dont vous trouverez un extrait ci-dessous :

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