[Dossier] NFT : trois lettres déclinées au secteur de l’art – Vincent Varet, Xavier Près

EXTRAIT REVUE PRATIQUE DE LA PROSPECTIVE ET DE L’INNOVATION- N° 1 – MAI 2022

Le NFT (« Non-Fungible Token ») est, comme sa traduction l’indique, un jeton non fongible généré informatiquement. Dans le domaine de l’art, le NFT est associé à d’art. Pour autant, le jeton n’est pas l’œuvre ; il est ce qui permet d’identifier l’auteur de l’œuvre et de rattacher cette dernière à son propriétaire ou du moins à celui qui a émis le jeton ou qui l’a acquis. associé à une œuvre, le NFT n’en entretient pas moins des relations bien réelles avec la propriété intellectuelle. L’article en donne des exemples et pose quelques pistes de réflexion en attendant une éventuelle régulation.

1 – Pas un jour ne s’écoule sans que la presse, grand public ou
spécialisée, ne publie un article sur le sujet. Le phénomène a pris
une ampleur inédite avec la vente record, le 11 mars 2021, d’une
oeuvre numérique par un artiste jusqu’alors inconnu du grand
public, à savoir « Everyday : the First 5 000 days » de l’artiste
Beeple (alias MikeWinkelmann). L’oeuvre représentant un monumental
collage virtuel a été adjugée 69,3 millions de dollars lors
d’une vente en ligne organisée par Christie’s, soit le troisième prix
le plus élevé pour un artiste vivant, après Jeff Koons et David Hockney.

La genèse des NFT Art reste à établir : d’aucuns considèreraient que l’histoire aurait débuté lorsque l’entrepreneur Anil Dash et l’artiste numérique Kevin McCoy’s ont créé, en 2014, le tout premier NFT après avoir constaté que nombre de créations numériques (images, vidéos, photos) circulaient sans que leurs auteurs n’en soient crédités. Depuis, les NFT Art sont partout : les plus grands noms s’y mettent comme les artistes DamienHirst, Shepard Fairey, Kaws, Murakami ou Jenny Holzer, ou les musées comme l’Hermitage ou encore le Bristish museum. Et les œuvres contemporaines sont même transformées en NFT pour nourrir le marché des enchères. D’ailleurs, la loi n° 2022-267 du 28 février 2022 1 vient de modifier l’article L. 230-1 du Code de commerce pour permettre la vente aux enchères publiques de biens meubles incorporels, ce qui inclut les NFT. Bref, l’engouement est total. Leur importance dans le marché de l’art ne saurait toutefois être surestimée. Les ventes en ligne d’œuvres cryptées en NFT seraient estimées en 2021 à 2 % du marché global selon le dernier rapport d’Artprice d’octobre 2021.

  1. NFT Art : NFT et création
    A. – NFT Art : juridiquement, qu’est-ce que c’est ?

2 – Pour répondre à cette question, il est utile de faire un détour par le monde physique. Dans ce monde-là, une œuvre d’art est à la fois un bien corporel (meuble – une peinture, une sculpture – ou immeuble une œuvre architecturale), du moins lorsqu’il existe un support tangible, et un bien meuble incorporel, à savoir une création immatérielle faisant l’objet d’un droit de propriété intellectuelle exclusif et opposable à tous, lorsque cette œuvre constitue une création de forme originale protégée, à ce titre, par le droit d’auteur. Le droit de propriété corporelle porte sur le support de l’œuvre, tandis que le droit de propriété intellectuelle porte sur l’œuvre de l’esprit, création immatérielle « incorporée » à ce support. Ces deux droits ne se confondent pas. Le Code de la propriété intellectuelle l’énonce clairement : « La propriété incorporelle (…) est indépendante de la propriété de l’objet matériel » (CPI, art. L. 111-3).

Autrement dit, le titulaire du support d’une œuvre d’art ne saurait pour autant l’exploiter (i.e. la reproduire et la représenter) sans obtenir préalablement l’autorisation du ou des titulaires des droits d’auteur sur l’œuvre elle-même. Pour les œuvres d’art graphiques et plastiques, la valeur de l’œuvre réside en grande partie dans celle de son support, les deux étant indissociables. C’est au demeurant si vrai que le droit de suite, qui permet à un auteur de « suivre » son œuvre et d’obtenir, lors de la revente de son support matériel par un professionnel du marché de l’art, un pourcentage du prix de cette vente, a été institué précisément pour compenser les faibles recettes tirées par l’artiste du droit de reproduction et de représentation permettant d’exploiter l’œuvre immatérielle, ses ressources provenant essentiellement de la vente initiale du support incorporant celle-ci (le tableau, la sculpture).

3 – Dans l’univers numérique, le support de l’œuvre n’a pas de valeur spécifique en ce qu’il est reproductible à l’infini, à l’identique et à peu de frais ; il est parfaitement interchangeable. Pour lui (re) donner une valeur, il faut le rendre unique. Comment ? Au moyen d’un NFT ou « Non-Fungible Token », soit en français « jeton non fongible ». Une chose non fongible est un bien qui se définit par ses caractéristiques propres et qui n’est donc pas interchangeable ; il est unique, ainsi que l’est, notamment… une œuvre d’art dans le monde physique (par exemple, la Joconde). De là à dire que le NFT est à l’œuvre numérique ce qu’une peinture ou une sculpture est à l’art « physique » il y a un pas, qui ne saurait être franchi sans nuance.

4 – Précisément parce que le NFT n’est pas l’œuvre elle-même.
Le NFT est un jeton, qui certes présente la caractéristique d’être non fongible, mais qui reste un jeton (ou « token »). Or l’article L. 552-2 du Code monétaire et financier énonce que : « Constitue un jeton tout bien incorporel qui représente sous forme numérique un ou plusieurs droits qui peuvent être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le…

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