EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 51 – 16 DÉCEMBRE 2019
LA SEMAINE DU DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN
Un coup d’arrêt dans la montée en puissance des exigences de la Cour de justice
Fabrice Picod, professeur à l’université Paris 2, directeur du centre de droit européen
CJUE, 12 déc. 2019, aff. jtes C-566/19 PPU et C-626/19 PPU, JR et YC
CJUE, 12 déc. 2019, aff. C-625/19 PPU, XD
CJUE, 12 déc. 2019, aff. C-627/19 PPU, ZB
Note Didier Rebut à paraître

Après avoir été amenée à apprécier le degré d’indépendance des autorités judiciaires d’émission d’un mandat d’arrêt européen en Allemagne, en Lituanie et en Autriche, la Cour de justice vient de se prononcer au sujet des systèmes français, belge et suédois par trois arrêts rendus le 12 décembre 2019 sur des conclusions très fermes de l’avocat général Campos Sanchez-Bordona qui avait déjà conclu dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 27 mai 2019 ( OG et PI, aff. C-508/18 et aff. C-82/19 PPU. – V. aussi JCP G 2019, act. 1284, Libres pro-pos D. Rebut) concernant les parquets de Lübeck et de Zwickau. C’est ce dernier arrêt rendu qui a suscité les doutes des juridictions luxembourgeoise et néerlandaise au sujet de l’émission de mandats d’arrêt européen par les parquets des tribunaux de Lyon et de Tours.
On sait que le système allemand avait été considéré comme non compatible avec les exigences de l’article 6 de la décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JOUE n° L 190, 18 juill. 2002, p. 1) au motif que les parquets allemands étaient « exposés au risque d’être soumis, directement ou indirectement, à des ordres ou à des instructions individuels de la part du pouvoir exécutif, tel qu’un ministre de la Justice, dans le cadre de l’adoption d’une décision relative à l’émission d’un mandat d’arrêt européen ».
À la différence du système allemand, le ministère public français n’est plus soumis à des instructions individuelles mais doit encore respecter, en vertu de l’article 30 du CPP, les instructions générales du ministre de la Justice en charge de conduire la politique pénale de la France qui est déterminée par le Gouvernement. La force de l’argument du gouvernement français reposant sur l’article 64 de la Constitution qui garantit l’indépendance de l’autorité judiciaire composée de magistrats du siège et du parquet et consistant à souligner que le ministère public exerce ses fonctions de manière objective sans recevoir d’instruction individuelle a convaincu la Cour de justice. Cela a suffi à « démontrer que, en France, les magistrats du parquet disposent du pouvoir d’apprécier de manière indépendante, notamment par rapport au pouvoir exécutif, la nécessité et le caractère proportionné de l’émission d’un mandat d’arrêt européen et exercent ce pouvoir de manière objective, en prenant en compte tous les éléments à charge et à décharge » (aff. jtes C-566/19 PPU et C-626/19 PPU, pt 55).
La question inédite du pouvoir hiérarchique du procureur général à l’égard des procureurs de la République, prévu à l’article 36 du CPP, n’a pas soulevé de difficulté dans la mesure où il s’agit d’une hiérarchie interne inhérente à toute structure juridictionnelle, les instructions individuelles n’émanant pas du pouvoir exécutif.
Alors même que le parquet peut être qualifié d’autorité judiciaire d’émission au sens de l’article 6 de la décision-cadre, il doit contrôler le respect des conditions nécessaires à cette émission et examiner de manière objective si l’émission revêt un caractère proportionné, étant observé que dans ces circonstances la décision doit pouvoir être soumise à un recours juridictionnel effectif.

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck