LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 5 – 29 JANVIER 2018 – © LEXISNEXIS SA
Anonymement vôtre
« L’anonymat assure la dimension altruiste du don, affranchit le don du contre-don, le préserve de toute pression affective, morale ou financière. »
Le principe d’anonymat des dons d’engendrement vit ses dernières heures. Les faits d’abord. Le 17 janvier, veille du lancement des États généraux
de la bioéthique, Arthur Kermalvezen, 34 ans, commercial dans l’immobilier, né d’un don de gamètes, a annoncé
qu’il avait retrouvé son géniteur. Pour rappel, aujourd’hui en France la levée de l’anonymat du donneur relève de l’illégalité sauf « nécessité thérapeutique », auquel cas le demandeur peut obtenir des renseignements qui n’identifient pas pour autant le donneur. Ce principe a été rappelé avec force par le Conseil d’État dans un arrêt du 28 décembre dernier ( n° 396571 : JurisData n° 2017-026464 ). Arthur est donc passé par des voies détournées. En envoyant un peu de sa salive à la société américaine de génétique 23andMe, il pensait juste en savoir un peu plus
sur ses origines. Surprise ! La société découvre un « match génétique » entre Arthur et un certain Larry en Angleterre qui s’avère être son cousin germain.
Arthur contacte ledit Larry sur les réseaux sociaux, discute avec lui, croise les informations et isole le seul homme dans l’arbre généalogique susceptible d’être son géniteur. Rapidement, il retrouve son adresse, lui écrit une lettre, l’homme l’appelle à Noël : « Bravo de m’avoir retrouvé ». Deux remarques ensuite, selon le principe « rien ne se perd, tout se transforme ». Rien ne se perd . De l’aventure d’un homme qui recherche obstinément son géniteur et qui est prêt à cette fin à franchir tous les obstacles de la vie, tout est déjà dit dans les tragédies grecques. Il n’y a pas d’impunité à donner la vie. Tout se transforme . L’idée inscrite, encore pour quelques temps, dans le Code civil de l’obligation d’anonymat pour tout don « d’un élément ou d’un produit de son corps » a été pensée comme une prolongation de la gratuité. L’anonymat assure la dimension altruiste du don, affranchit le don du contre-don, le préserve de toute pression affective, morale ou financière. L’anonymat permet aussi et surtout de préserver l’idée selon laquelle la filiation est avant tout une construction affective et sociale, le géniteur n’étant pas toujours le père et inversement. Il en va ici d’un des principes les plus authentiquement extraordinaires de notre civilisation : les liens d’amour sont parfois plus forts que les liens de sang.
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck