[Article] Bigame un jour, bigame toujours ?

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Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°48

LA SEMAINE DU DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE 

 

Notes

MARIAGE
1275

 

Bigame un jour, bigame toujours ?

Le ministère public peut, en considération de l’atteinte à l’ordre public international causée par le mariage d’un Français à l’étranger sans que sa précédente union n’ait été dissoute, s’opposer à la demande de transcription de cet acte sur les registres consulaires français.  

DOMINIQUE BUREAU, professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II)

Cass. 1 re civ., 19 oct. 2016, n° 15-50.098, P+B+I : JurisData n° 2016-021239
V. déjà JCP G 2016, act. 1132

Marquée à jamais d’une tache indélébile…

Telle est l’image que l’arrêt rapporté (Cass. 1re civ., n° 15-50.098 : JurisData n° 2016-021239) semble renvoyer d’une union contractée de longue date dans les circonstances suivantes : un Français, marié depuis le 4 avril 1964, épouse en 1971, en Algérie, une autre femme de nationalité algérienne; là est la tache, sous forme de bigamie. Peu de temps après, la dissolution du premier mariage est cependant prononcée, en vertu d’un divorce obtenu en 1973. Plus de quarante ans plus tard, les époux assignent le ministère public pour que soit ordonnée la transcription de leur acte de mariage sur les registres consulaires. Ce qu’acceptent les juges du fond, aux motifs que « si l’état de polygamie heurte l’ordre public français, du fait que l’époux est de nationalité française, néanmoins, l’action en nullité absolue du mariage pour cause de bigamie, fondée sur l’article 147 du code civil est aujourd’hui irrecevable car prescrite en vertu de l’article 184 du code civil qui vise notamment le cas de bigamie de l’article 147 du code civil, dès lors que le mariage litigieux a été célébré en 1971, soit il y a plus de 40 ans, étant ajouté que la loi du 17 juin 2008 a maintenu à trente ans le délai de prescription applicable à l’action en nullité absolue du mariage ».

Cassation, au visa des articles 6 du Code civil et 423 du Code de procédure civile : « en statuant ainsi, alors que le ministère public pouvait, en considération de l’atteinte à l’ordre public international causée par le mariage d’un Français à l’étranger sans que sa précédente union n’ait été dissoute, s’opposer à la demande de transcription de cet acte sur les registres consulaires français, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (sur l’arrêt, V. déjà D. 2016, p. 2168, I. Gallmeister; AJF 2016, p. 546, A. Boiché). Là est l’indélébilité de la tache, sévèrement affirmée.
Il est vrai que le ministère public peut bien agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci (CPC, art. 423) . On voit mal alors pourquoi serait seul protégé en ce domaine l’ordre public interne et non pas également l’ordre public international (V. d’ailleurs, liant déjà l’article 423 du Code de procédure civile à la défense de l’ordre public international : Cass. 1 re civ., 6 avr. 2011, n° 09-66.486 : JurisData n° 2011-005611 ; JCP G 2011, act. 441, Aperçu rapide F. Vialla et M. Reynier ). Corrélativement, il n’est pas contestable du point de vue des principes en cause qu’en droit français, la bigamie, interdite par l’article 147 du Code civil, sanctionnée par la nullité du mariage sur le terrain civil ( C. civ., art. 184 : nullité absolue, sans possibilité de régularisation a posteriori, CA Grenoble, 23 janv. 2011 : JurisData n° 2001-150549 ; Dr. famille 2002, comm. 54, H. Lécuyer ) et par des peines d’emprisonnement et d’amende sur le terrain pénal (C. pén., art. 433-20) , puisse heurter l’ordre public.

Enfin, il faut bien mesurer que les conséquences de cette opposition du ministère public ne seront, pratiquement qu’assez limitées : l’action en nullité du mariage étant soumise à une prescription trentenaire (C. civ., art. 184) , sa validité même n’était pas en cause en l’espèce. Seule, l’opposabilité aux tiers du mariage était donc ici tributaire de sa transcription sur les registres de l’état civil français (V. C. civ., art. 171-5 ).
En sorte que les inconvénients résultant pour les époux de cette opposition à leur demande de transcription de l’acte de mariage seraient finalement d’une faible importance en comparaison de la situation de bigamie qu’ils avaient naguère créée.

Rien n’interdit cependant de discuter davantage de la solution, spécialement en considération du seul motif invoqué par l’arrêt au soutien de la cassation. Si c’est en effet « en considération de l’atteinte à l’ordre public international causée par le mariage d’un Français à l’étranger sans que sa précédente union n’ait été dissoute » que le ministère public pouvait s’opposer à la demande de transcription de cet acte sur les registres consulaires français, c’est alors sur la technique de l’exception d’ordre public, d’une part (1), sur le contenu de la notion, d’autre part (2), que l’attention peut être plus précisément portée.

 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 48 – 28 NOVEMBRE 2016

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