[Article] Du burkini comme moteur de l’intégration sociale des enfants étrangers

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°5

 LA SEMAINE DU DROIT INTERNATIONAL ET EUROPEEN

LIBERTÉ DE PENSÉE, DE CONSCIENCE ET DE RELIGION

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Du burkini comme moteur de l’intégration sociale des enfants étrangers

Dominique Berlin, Professeur, université Panthéon-Assas

CEDH, 10 janv. 2017, n° 29086/12, Osmanoglu et Kocabas c/ Suisse

 

Les requérants, musulmans, contestent le refus des autorités d’accorder à leurs filles impubères une dispense pour les cours de natation mixtes obligatoires à l’école et l’amende qui leur a été infligée pourabsences non autorisées de leurs fi lles lors de ces cours. Cette affaire aurait dû être traitée sur le fondement de l’article 2, Protocole n° 1,de la Convention EDH, lex specialis en matière de droit à l’instruction ( CEDH, gr. ch., 29 juin 2007, n° 15472/02, Folgerø et a. c/ Norvège, § 84 ).
La Suisse n’ayant pas ratifié ce protocole, la Cour admet la requête au titre de l’article 9 garantissant la liberté de religion. Mais, la Convention formant un tout, elle l’appliquera à la lumière de l’article 2, Protocole n° 1, de ladite Convention, s’agissant d’un contexte scolaire (§ 90 à 92 ; § 95 ). Au regard de l’exercice del’autorité parentale, la Cour estime que le droit des parents de manifester leur religion subit bien une ingérence ( § 42 ). Le plan d’études établissant le programme disponible sur internet constitue une base légale suffisante de l’ingérence ( § 53 ) qui a pour « but l’intégration des enfants étrangers de différentes cultures et religions, ainsi que le bon déroulement de l’enseignement, le respect de la scolarité obligatoire et l’égalité entre les sexes » que la Cour rattache « à la protection des droits et libertés d’autrui ou à la protection de l’ordre » ( § 64 ). La nécessité de la mesure dans une société démocratique caractérisée par le triptyque « pluralisme, tolérance et esprit d’ouverture » ( § 84 ) est appréciée à l’aune du principe de subsidiarité ( § 87 ) qui confère aux États « une marge d’appréciation considérable » sur les questions de religion, « d’autant plus
lorsque ces questions se posent dans le domaine de l’éducation et de l’instruction publique » ( § 95 ). Persuadée que « l’école occupe une place particulière dans le processus d’intégration sociale, place d’autant plus décisive s’agissant d’enfants d’origine étrangère » ( § 96 ), la Cour « estime que l’intérêt des enfants à une scolarisation complète permettant une intégration sociale réussie selon les moeurs et
coutumes locales prime sur le souhait des parents de voir leurs filles exemptées » de ces cours ( § 97 ).
Surtout, constat déterminant dans le cadre du contrôle de proportionnalité, « les autorités ont offert des aménagements signifi catifs aux
requérants », notamment la possibilité de porter le burkini, de se doucher et se dévêtir hors la présence des garçons ; ces mesures « étaient à même de réduire l’impact litigieux (…) sur les convictions religieuses de leurs parents » ( § 101 ). La Cour retrouve ici les accents de son arrêt Lautsi quant au poids des mesures d’ouverture de l’espace scolaire aux diverses religions ( CEDH, gr. ch., 18 mars 2011, n° 30814/06 : JCP G 2011, 601, G. Gonzalez ). Le Conseil d’État se réjouira du brevet de conventionalité ainsi délivré, indirectement, au port du burkini auquel certains édiles s’étaient opposés ( CE, ord., 26 août 2016, n° 402742, 402777 : JurisData n° 2016-015886 ; JCP G 2016, act. 910, Libres propos N. Lenoir ).

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 5 – 30 JANVIER 2017

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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