[Article] La Cour ferme la porte aux GPA illégales

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°7-8

 LA SEMAINE DU DROIT INTERNATIONAL ET EUROPEEN

DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE

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La Cour ferme la porte aux GPA illégales

Frédéric Sudre, professeur à l’université de Montpellier

CEDH, gr. ch., 24 janv. 2017, n° 25358/12, Paradiso et Campanelli c/ Italie
Note Hugues Fulchiron à paraître

Est en cause la décision des juridictions italiennes de séparer de ses parents d’intention et de placer auprès d’une famille d’accueil un enfant (âgé de 9 mois), né à Moscou d’une convention de mèreporteuse conclue en violation du droit italien et n’ayant aucun lien biologique avec au moins l’un des requérants. La Cour se situe
dans la logique de la jurisprudence Mennesson ( CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c/ France : JurisData n° 2014-015214 ; JCP G 2014, 877, A. Gouttenoire ) . D’une part, contrairement à la chambre ( CEDH, 27 janv. 2015, n° 25358/12 : JurisData n° 2015-000832 ; JCP G 2015, act. 194, obs. F. Sudre ) concluant à la violation du droit au respect de la vie familiale, elle ne reconnaît pas, au terme d’une interprétation stricte, l’existence d’une vie familiale de facto , au triple motif de l’absence de tout lien biologique de l’enfant avec les parents d’intention, de la courte durée de la relation avec les parents (8 mois) et de la précarité des liens du point de vue juridique ( § 157 ). D’autre part, la Cour estime que l’article 8 est applicable au titre de la vie privée, considérant, au regard du « véritable projet parental » des intéressés, qu’est en cause leur « développement personnel (…) à travers le rôle de parents qu’ils souhaitaient assumer vis-à-vis de l’enfant » et leur « droit au respect de la décision (…) de devenir parents » ( § 163 ). C’est élargir le champ de ce droit qui ne concernait, initialement, que les « parents génétiques » ( CEDH, gr. ch., 4 déc.2007, n° 44362/04, Dickson c/ Royaume-Uni : JurisData n° 2007-007328 ).
De plus, l’affirmation « qu’il n’y a aucune raison valable de comprendre la notion de « vie privée » comme excluant les liens affectifs s’étant créés et développés entre un adulte et un enfant en dehors de situations classiques de parenté » ( § 161 ) brouille la distinction entre vie privée et vie familiale de facto . La Cour analyse la décision litigieuse en une ingérence dans la vie privée des requérants qui, prévue par la loi, visait le but légitime de la défense de l’ordre et de la protection des droits d’autrui, soulignant que la volonté des autorités nationales de « réaffi rmer la compétence exclusive de l’État pour reconnaître un lien de filiation – et ce uniquement en cas de lien biologique ou d’adoption régulière – dans le but de préserver les enfants » est légitime au regard de l’article 8, § 2, de la Convention EDH ( § 177 ). Reconnaissant à l’État « une ample marge d’appréciation » dans un domaine « éthiquement sensible » ( § 194 ), la Cour s’interroge sur la proportionnalité des mesures litigieuses.
Elle accorde à l’évidence plus de poids à l’illégalité de la conduite des requérants qu’à leur intérêt de développer des relations avec l’enfant, dont « l’intérêt supérieur » est peu présent ( § 208 ), et considère que « l’intérêt général en jeu pèse lourdement dans la balance » : accepter de laisser l’enfant avec les requérants « serait revenu à légaliser la situation créée par eux en violation de règles importantes du droit italien » ( § 215 ). Elle juge donc que les juridictions italiennes ont « ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu » et conclut à la non-violation de l’article 8. On voit là la volonté de la Cour, dans le respect du principe de subsidiarité, de ne pas offrir la protection de la Convention à une situation de « fait accompli », en violation du droit interne.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N°7-8 – 13 FEVRIER 2017

Couverture la semaine juridique 7-8

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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