LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 4 – 23 JANVIER 2017
EDITO
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Destin de femmes
« Les conditions de la dispense de peine et de la grâce présidentielle étaient-elles ou non réunies, dans ces deux affaires ? »
À ma droite un conte de fées. À ma gauche un film d’horreur. Pour la première, une vie de rêve : successivement, première femme aux commandes d’une firme internationale d’avocats d’affaires, ministre de l’Économie et directrice du Fonds monétaire international. Pour la seconde, une vie cauchemardesque : mari violent, qui la roue de coups, et violeur familial.
« Et soudain, c’est le drame… ». L’une, pour avoir, au temps où elle évoluait sous les ors de la République, donné son accord à la procédure d’arbitrage dans l’affaire Tapie et renoncé à exercer un recours en nullité contre la sentence arbitrale, est poursuivie de détournement de fonds publics, devant la Cour de justice de la République. L’autre, après avoir subi une énième séance de coups, tue froidement son bourreau de trois coups de fusil dans le dos.
Christine Lagarde est reconnue coupable de négligence par la Cour de justice de la République qui retient sa responsabilité pénale, mais la dispense de peine. Jacqueline Sauvage est condamnée à deux reprises successives par deux cours d’assises différentes à dix ans de réclusion criminelle, mais le président de la République, après une grâce partielle, lui accorde finalement une grâce totale.
Indignation dans l’opinion publique face à l’indulgence dont la Cour a fait preuve à l’égard de l’exministre.
Une pétition est même lancée pour que la ministre soit jugée devant une juridiction ordinaire…
On brandit La Fontaine, « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », pour vilipender cette décision de complaisance. Irritation des milieux juridiques et judiciaires contre la grâce présidentielle dans l’affaire de la criminelle sauvagement battue pendant des années. Le président de la République est accusé d’avoir cédé à la pression de l’opinion publique, (une pétition avait ici aussi été lancée en faveur de la condamnée), et des féministes, et d’avoir ainsi porté « le coup de grâce à la justice », selon un célèbre blogueur, ancien magistrat.
En prenant un peu de distance avec les réactions partisanes inspirées par des considérations politiques, deux questions méritent simplement d’être posées ici et là. D’une part, les conditions de la dispense de peine et de la grâce présidentielle étaient-elles ou non réunies, dans ces deux affaires ? Dans l’affirmative, mais chacun en jugera, il est tout simplement démagogique d’opposer le Droit et la Justice. D’autre part, cette juridiction et cette mesure de faveur doivent-elles demeurer dans notre arsenal juridique ? Convient-il de maintenir la Cour de justice de la République, juridiction d’exception dont l’histoire démontre qu’elle fait toujours preuve d’un laxisme récurrent, à tel point que ceux qui soutiennent que les ministres ne sont pas vraiment des justiciables comme les autres n’ont pas
tort ? Faut-il en fi nir, avec la grâce, cette survivance de l’Ancien Régime, qui foule du pied le principe de la séparation des pouvoirs en permettant au chef de l’exécutif de prendre l’exact contrepied d’une décision de justice, voire de plusieurs comme dans l’affaire Sauvage ? En cette période électorale, c’est aux hommes politiques de prendre leurs responsabilités, mais on se souvient que « Moi, Président » s’était engagé à supprimer la Cour de justice de la République…
Denis Mazeaud
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck