Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°18
Entretien avec SAMIA MAKTOUF, avocat à la Cour, Conseil auprès de la Cour pénale internationale
« Le choc des attentats doit entraîner une prise de conscience dans la réponse politique, judiciaire, policière et en termes de renseignement. Je ne constate rien de tel »
Avocate dans plusieurs affaires en lien avec le terrorisme, Me Samia Maktouf défend les intérêts d’une quinzaine de victimes et proches de victimes des attentats du 13 novembre dernier (V. supra 523, Portrait ).Six mois après les attentats de Paris et un mois après l’arrestation du seul auteur survivant, l’avocate revient dans nos colonnes sur la difficile prise en charge des victimes et sur le rôle de l’avocat. Elle décrypte le recours qu’elle vient de former devant la Cour EDH portant sur des « dysfonctionnements au niveau local, dans la commune de Molenbeek Saint-Jean, et au niveau des autorités fédérales belges », et revient sur les réformes en « trompe l’œil » qui ne répondent pas, selon elle, à la menace qui pèse actuellement sur notre pays et sur toute l’Europe.
La Semaine juridique, Édition générale : Affaires Merah, de l’ Hyper Cacher , du Bataclan, comment abordez-vous les dossiers en lien avec le terrorisme ?
Samia Maktouf : Dans ces dossiers, la première difficulté tient au soin apporté à la prise en charge des victimes. Elle doit être différente de celle des victimes de droit commun. Face à la tragédie d’une attaque terroriste, la société doit faire preuve de davantage d’humanité encore. Cette pré-
occupation rejoint le serment d’avocat que j’ai prêté : exercer ma profession avec humanité.
Depuis 2012 et l’affaire Merah , les leçons n’ont pas été tirées par les autorités. Dans ce dossier, qui fut mon premier en lien avec le terrorisme, j’assiste Latifa Ibn Ziaten, la mère du premier soldat tué à Toulouse. La famille de ce militaire a cruellement souffert de l’absence totale de l’État, alors même qu’il s’agissait d’un homme qui avait décidé de consacrer sa vie à son pays, la France. C’est à l’avocat qu’il revient de pallier cette carence.
Sur le plan juridique, leur prise en charge ne relèvera bientôt plus de la criminalité de droit commun. Les victimes des attentats devraient prochainement être reconnues « victimes civiles de guerre » , comme le précise l’ordonnance du 29 décembre 2015, modifiant l’article L. 113-13 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2017.
Ces victimes sont tombées pour la Nation. Décédées, survivantes ou blessées, elles ont toutes été visées, sans exception, parce qu’elles représentaient la France aux yeux de leurs agresseurs. Or c’est bien la France que les terroristes veulent « mettre à genoux » selon l’expression déjà utilisée par Mohamed Merah.
Mais depuis 2012, ce terrorisme « ciblé », où les djihadistes choisissent de s’en prendre aux institutions et aux valeurs de la République – soldats, enseignants et élèves d’une école primaire juive -, laisse place à un « terrorisme de masse », où chacun d’entre nous devient une cible potentielle.
JCP G : Comment se déroule l’indemnisation des victimes de terrorisme ?
S. M. : Elles sont indemnisées par un organisme public appelé le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme. L’argent est versé par provisions successives au fur et à mesure de l’avancement du dossier, et sur justificatif du préjudice subi par la victime, comme par exemple des certificats médicaux.
Le système est encore perfectible et surtout dépassé, car l’indemnisation se limite strictement au préjudice corporel, par ailleurs souvent minoré, et occulte le préjudice psychologique et moral subi, sans s’appuyer sur le moindre fondement juridique. Déjà éprouvées par le choc et la douleur, les victimes de ces atrocités doivent alors surmonter une nouvelle épreuve, cette fois imposée par l’Administration, et faire face à un déluge de formalités interminables sans aucun égard pour l’extrême souffrance qu’ils ressentent.
JCP G : Vous avez été saisie par des victimes des attentats du 13 novembre, où en est-on de la procédure judiciaire ?
S. M. : J’interviens pour la défense des intérêts d’une quinzaine de victimes et leurs proches. Parmi elles, un jeune confrère tué au Bataclan, feu Me Valentin Ribet, dont une salle à l’École de formation du barreau de Paris porte désormais le nom. Je représente également les intérêts d’un vigile et d’une femme, tous deux blessés au Stade de France, ainsi que les deux enfants mineurs de cette dernière.
Même si cela peut paraître surprenant, les victimes que je défends ne sont ni dans la haine ni dans la vengeance. Elles n’ont que deux préoccupations au regard du travail mené par la justice : la vérité sur les circonstances de ces attentats, et la tenue d’un procès exemplaire.
À ce stade, mon rôle d’avocat est aussi de les accompagner dans des démarches purement administratives, celles qu’ils engagent pour se reconstruire et obtenir la réparation de leur préjudice. Pour faciliter ces formalités, mes clients demandent, comme d’autres, la création d’un guichet unique pour les victimes afin de limiter le nombre d’interlocuteurs et de simplifier le suivi des dossiers. Sa création a été annoncée par la nouvelle secrétaire d’État en charge de l’Aide aux victimes. Nous attendons désormais que cette annonce se concrétise rapidement.
Sur le plan de la procédure pénale, les victimes que je représente se sont constituées parties civiles, afin d’obtenir réparation, mais aussi et surtout pour connaître la vérité qui émergera de l’information judiciaire ouverte au pôle antiterroriste du TGI de Paris pour « assassinats et association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ».
Mes clients m’appellent très fréquemment pour savoir s’il y a de nouveaux éléments versés au dossier d’instruction. Leur premier souhait est de connaître les circonstances précises de la mort de leurs proches. Elles veulent également avoir le sentiment que la justice est attentive à la douleur qu’elles ressentent, que l’institution judiciaire est à la fois à leurs côtés et de leur côté. Or les victimes du 13 novembre n’ont toujours pas été reçues par l’un des six magistrats en charge de l’instruction. Cela peut paraître dérisoire, mais rencontrer pendant quelques minutes le juge chargé de faire la lumière sur le drame de votre vie fait partie intégrante du processus de reconstruction.
Un autre aspect de la pratique judiciaire en matière de terrorisme rend un peu plus difficile encore le travail des avocats : la réticence des juges d’instruction aux demandes d’actes. Notre système est archaïque. Les juges continuent de percevoir nos demandes comme autant d’intrusions dans leur instruction. C’est une aberration : les avocats, en tant qu’auxiliaires de justice, participent via les demandes d’actes à la recherche de la vérité, comme le prévoit explicitement l’article 82-1 du Code de procédure pénale. Juges et avocats n’ont aucune raison de s’opposer dans cette quête. Au contraire, ils doivent être en mesure de s’écouter et de s’entraider pour atteindre leur objectif commun.
Dans ces dossiers, l’instruction dure souvent plusieurs années. Dans l’affaire Merah , l’ordonnance de renvoi vient seulement d’être rendue, quatre ans après les faits. Nous sommes conscients que le temps judiciaire est long, mais ces délais entraînent une attente très frustrante pour les victimes, pour qui le procès représente souvent une étape décisive dans leur reconstruction.
Face à un état d’urgence proclamé voici plusieurs mois et renouvelé par deux fois, la justice doit être visible. Cette institution doit trouver sa place dans la lutte contre le terrorisme, face aux autorités et administrations omniprésentes, notamment sur la scène médiatique. Sauf à la suite des attentats de 1995, il n’y a pas eu un seul procès d’envergure pour assassinats terroristes en France.
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LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 18 – 2 MAI 2016