Extrait de la Revue : La Semaine Juridique – Notariale et Immobilière n°21
Entretien avec Mustapha Mekki est professeur à l’université Paris 13-Sorbonne Paris Cité, directeur de l’IRDA, enseignant au Centre de formation notariale de Paris (CFPNP)
Entretien
NOTAIRE
« L’art de la formule n’est pas seulement un héritage historique » Entretien avec Mustapha Mekki « L’avenir du notariat », ouvrage collectif sous la direction scientifique de Mustapha Mekki, vient de paraître aux éditions LexisNexis. Deux ans de réflexion et de coordination entre des spécialistes de diverses disciplines ont été nécessaires pour mener à bien ce travail. La survenance de la loi Macron, alors que le projet était bien avancé, a amené l’équipe à « faire avec ». Elle a observé comment la profession de notaire a affronté cette situation totalement inédite. Mustapha Mekki nous fait partager le contenu de cette démarche ainsi que les conclusions et propositions que le groupe en a tirées.

Mustapha Mekki est professeur à l’université Paris 13-Sorbonne Paris Cité, directeur de l’IRDA, enseignant au Centre de formation notariale de Paris (CFPNP)
La Semaine Juridique : Que retenir du panorama que vous avez dressé – passé, présent et avenir – du notariat français ?
Mustapha Mekki : Ces deux années d’étude ont été l’occasion de croiser les regards sur la profession : regards économique, historique, sociologique et juridique. La démarche historique a été privilégiée car le notariat est souvent abordé sous un angle temporel. Existe-t-il une tradition notariale ? Qui sont les ancêtres du notaire ? Peut-on rechercher l’essence du notariat dans l’histoire de la profession ? Le notariat d’aujourd’hui souffre-t-il d’une crise de vieillesse ? Son avenir n’est-il pas menacé par la concurrence des professions ? Le notariat peut-il survivre au vent de libéralisation qui souffle sur les institutions françaises ? Cette démarche pluridisciplinaire a mis en exergue toute l’importance qu’il y a à appréhender cette profession sous un angle temporel car la mutation de cette profession ne peut être comprise qu’en revenant sur son passé afin de mieux envisager son avenir.
La Semaine Juridique : Dans cette perspective, comment rendre compte de votre travail ?
Mustapha Mekki : Difficile en quelques mots de rendre compte de cette étude.
L’hypothèse de départ pour l’ensemble du groupe de travail était simple : le notariat a-t-il une identité qui lui est propre et qui lui confère toute sa légitimité dans le système juridique continental ? Le groupe est parti de l’idée que cette identité notariale, source de sa singularité, est aussi la condition de sa pérennité. Sans cette carte génétique propre, le notariat serait une profession juridique parmi d’autres. Il existe bien une identité notariale qui s’appuie sur le lien inextricable qui unit son statut et sa fonction. Plus précisément, le statut donne toute sa singularité à la fonction.
Le notaire est un officier public et ministériel qui appartient à une profession réglementée ayant pour ciment un ensemble de règles déontologiques contraignantes.
Cette profession est une autorité publique au service du public, exerçant une activité justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général qui fondent son régime dérogatoire en droit public interne et européen. Quant aux fonctions, elles sont consubstantielles au statut du notariat.
Elles renvoient principalement à l’acte authentique ou, plus précisément, au processus d’authentification, qui confère à l’acte une force probante exceptionnelle, exécutoire et renforce la sécurité juridique des transactions. Si cette fonction est confiée au notaire, c’est en raison de son statut. Ce dernier conditionne l’étendue des fonctions attribuées au notaire.
Statut et fonctions sont les piliers de cette identité notariale qui constitue l’âme de la profession et le gage de sa survie. C’est en communiquant sur cette culture du notariat que les instances dirigeantes parviendront à convaincre les autorités publiques françaises et européennes de sa spécificité et de la légitimité de son régime dérogatoire dans le « champ du droit ».
Mustapha Mekki : Au départ, le champ de la réflexion était moins polémique. Il s’agissait de penser ou repenser le notariat dans un environnement qui avait évolué : globalisation, mutation de l’État, idéologie dominante du marché, phénomène de contractualisation de la société et du droit, concurrence entre les systèmes juridiques illustrée par les différents rapports Doing business… La place du notaire comme relais de l’État et interface entre les intérêts particuliers et l’intérêt général devait être directement touchée par ces évolutions.
Lorsque les « études » de Bercy et le processus de discussion de ce qui deviendra la loi du 6 août 2015, dite loi Macron, sont apparus, l’intérêt du projet de recherche s’est densifié. La loi « Macron » a constitué un véritable cas pratique permettant d’observer en temps réel les effets sur la profession du notariat d’un discours politique déconnecté de la « réalité » notariale. Cette loi a finalement été une mise à l’épreuve des premières réflexions menées pendant la première année de notre travail sur ce qui constituait l’essence du notariat. Cette loi nous a surtout confortés dans l’idée que sans identité, sans caractères distinctifs, sans ADN, la profession du notariat ne pouvait être comprise ni des politiques, ni de l’opinion publique, et que son avenir serait nécessairement menacé.
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LA SEMAINE JURIDIQUE – NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE – N° 21 – 27 MAI 2016