[Article] Les confiscations et les mesures de leur proportionnalité

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°1-2

CONFISCATION

Les confiscations et les mesures de leur proportionnalité

Jacques-Henri Robert, professeur émérite de l’université Panthéon-Assas (Paris II)

Cass. crim., 7 déc. 2016, n° 16-80.879, inédit : JurisData n° 2016-026186
Cass. crim., 7 déc. 2016, n° 15-85.136, P+B+I : JurisData n° 2016-026310

Les deux arrêts rapportés concernent la confiscation, mais sous deux modalités distinctes de cette peine complémentaire : d’une part, la confiscation spéciale « de l’objet ou [du] produit » d’une l’infraction ( C. pén., art. 131-21, al. 3 ) et d’autre part, la confiscation « de tout ou partie des biens appartenant au condamné » ( C. pén., art. 131-21, al. 6 ). La solution remarquable de la première décision tient en ce que le grief de disproportion est « inopérant » lorsqu’il est articulé contre la confiscation du produit du délit. Ce motif est nouveau. Au contraire, le même grief est examiné avec soin par la seconde décision qui relève et approuve les motifs par lesquels les juges du fond ont décrit la perversité du prévenu et la gravité du trouble à l’ordre public provoqué par ses trafics. Les deux arrêts ont été rendus le même jour en contemplation l’une de l’autre, par deux formations distinctes, restreinte pour le premier, en section pour le second, mais les mêmes magistrats siégeaient dans l’une et l’autre sous la présidence du président de leur chambre et après avoir entendu les conclusions du même avocat général.

Cette jurisprudence naissante est la conséquence du pouvoir que la chambre criminelle s’est donnée en contrôlant désormais la proportionnalité de la peine effectivement prononcée à l’égard d’un condamné, même quand elle est comprise dans les limites légales et que la loi n’oblige pas les juges du fond à la motiver spécialement. Le principe de proportionnalité règne depuis longtemps dans de nombreux domaines du droit pénal substantiel et de la procédure pénale : mais la règle dont il s’agit ici est récente et ne concerne que la recevabilité du moyen de cassation fondé sur ce principe, à l’effet unique de contester la condamnation prononcée par les juges du fond. Son apparition a déjà été décrite dans ces colonnes en même temps que ses causes ( Cass. crim., 10 mars 2015, n° 14-83.329 : JurisData n° 2015-004709. – Cass. crim. 26 févr. 2016, n° 15-82.732 : JurisData n° 2016-002494 ; JCP G 2016, 401, nos obs. et la doctrine citée ; E. Dreyer, Un contrôle de proportionnalité à la Cour de cassation : Gaz. Pal. 4 oct. 2016, p. 67 ). Par ces précédents et par les arrêts rapportés, la chambre criminelle répudie la règle traditionnelle selon laquelle « hormis les cas expressément prévus par la loi, les juges ne sont pas tenus de motiver les sanctions qu’ils appliquent dans les limites légales » (Cass. crim., 19 oct. 2004, n° 04-80.317 : JurisData n° 2004-025425 ; Bull. crim., n° 246. – Cass. crim., 27 oct. 2010, n° 10-81.770, inédit). Sauf une fugace apparition dans deux arrêts postérieurs à celui du 16 février 2016 ( Cass. crim., 9 mars 2016, n° 14-85.848 : JurisData n° 2016-004195 ; Dr. pén. 2016, comm. 78, à propos d’amendes douanières. – Cass. crim., 9 mars 2016, n° 14-88.126 : JurisData n° 2016-004209 , à propos de l’affichage d’un jugement de l’interdiction des droits civils, civiques et de famille), les motivations de ce type furent bannies de la jurisprudence au cours de l’année 2016 et semblent devoir être considérées comme indignes d’un État de droit.

Mais le contrôle de la proportionnalité des peines effectivement prononcées nécessite la création d’un nouveau corps de règles désigné, dans les pays de langue anglaise, comme leur sentencing system. Les arrêts rapportés en commencent l’édification concrète. Le premier annonce, ce qui est nouveau, que certaines peines seront exemptes du test de proportionnalité ; pour ce qui concerne la confiscation du produit du délit, la justification de la solution est facilement devinée : cette peine n’est que l’effacement de la conséquence illégale de l’infraction, l’enrichissement du condamné. Au contraire, la confiscation de tout ou partie de ses biens, indépendamment de leur rapport avec l’infraction, est un appauvrissement qui dépasse le rétablissement du statu quo ante et elle tend davantage à la rétribution de la faute du condamné.

Tels sont les premiers éléments des listes de la nouvelle summa division qui séparera désormais toutes sanctions pénales prévues par la loi, qu’elles soient principales, complémentaires, ou de substitution, sans oublier les peines applicables aux personnes morales ni les nombreuses modalités du sursis avec mise à l’épreuve et de la contrainte pénale, ni les peines plus ou moins exotiques des codes techniques. Quelques-unes dont on devine qu’elles seront en petit nombre échapperont au contrôle de proportionnalité,

Les autres seront rangées en sous-catégories selon qu’il s’agira de sanctions purement rétributives, comme l’amende et la publication de la condamnation, ou de sanctions plus ou moins imprégnées du caractère de mesure de sûreté, comme la suspension ou l’annulation du permis de conduire, quand au moins elles sont en relation avec une infraction routière, ou l’interdiction professionnelle quand elle concerne un métier dont l’exercice a fourni l’occasion du délit. Pour chacune de ces sous-catégories, il faudra arrêter les critères au regard desquels leur proportionnalité sera appréciée : valeur plus ou moins haute de l’intérêt protégé, méchanceté du prévenu, probabilité de son amendement, utilité sociale de la peine choisie par les juges du fond. Par exemple, le travail d’intérêt général est davantage destiné à favoriser l’amendement du condamné, mais l’interdiction professionnelle ou la fermeture d’établissement ont l’effet contraire puisqu’elles tendent à prévenir la commission de nouvelles infractions.

Au travail !

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 1-2 – 9 JANVIER 2017

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