[Article] Libre circulation des personnes et lien de filiation

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°46

 LA SEMAINE DU DROIT INTERNATIONAL ET EUROPEEN

UNION EUROPÉENNE

1425

Libre circulation des personnes et lien de filiation

Dominique Berlin, Professeur, université Panthéon-Assas

CJUE, 14 déc. 2016, aff. C-238/15, Maria do Céu Bragança Linares Verruga e. a.
CJUE, 15 déc. 2016, aff. C-401/15, C-402/15, C-403/15, Noémie Depesme e. a.

 

Une fois n’est pas coutume, l’actualité commande de regrouper ici deux arrêts concernant la même législation luxembourgeoise subordonnant l’octroi aux étudiants d’une bourse d’études à la condition que le parent, travailleur frontalier, ait travaillé au Luxembourg pendant une durée ininterrompue de cinq ans au moment de la demande de bourse.

Dans la première affaire ( C-238/15 ), la Cour reconnaît le droit légitime du Luxembourg à poser une telle exigence de rattachement au territoire luxembourgeois. En effet il s’agit, pour la Cour, du droit de l’État de s’assurer que le travailleur frontalier présente un lien d’intégration avec la société luxembourgeoise en exigeant un rattachement suffisant pour lutter contre le risque d’un « tourisme des bourses d’études ». Ainsi, elle juge appropriée la condition d’une durée de travail minimale du parent travailleur frontalier au Luxembourg, dans la mesure où une telle condition est de nature à établir un rattachement du travailleur avec la société luxembourgeoise ainsi qu’une probabilité raisonnable d’un retour de l’étudiant au Luxembourg.

Cependant, et dans la mesure où cette condition n’est pas applicable aux étudiants qui résident sur le territoire luxembourgeois, elle conclue que la condition d’une durée de travail ininterrompue de cinq ans va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif recherché. En effet, cette condition ne permet pas aux autorités compétentes d’octroyer une bourse lorsque, comme en l’espèce, les parents avaient, nonobstant quelques brèves interruptions, travaillé au Luxembourg pendant une durée significative (en l’occurrence près de huit ans) au cours de la période ayant précédé la demande. De telles interruptions ne sont pas de nature à rompre le lien de rattachement entre le Luxembourg et le demandeur de la bourse.

Dans l’autre arrêt ( C-401/15, C-402/15, C-403/15 ), la Cour devait se pencher sur la possibilité pour un enfant d’une famille recomposée d’avoir accès à de telles bourses, alors que celle-ci était constituée par la mère génétique et un beau-père, le père génétique étant parti ou décédé. En d’autres termes, le terme « enfant » dans la loi luxembourgeoise devait-il être interprété comme devant inclure les « beaux-enfants » ?

Après avoir réconcilié les textes en matière de travailleurs salariés ( PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 492/2011, 5 avr. 2011 : JOUE n° L141, 27 mai 2011, p. 1 ) et ceux en matière de citoyenneté ( PE et Cons. UE, dir. 2004/38/CE, 29 avr. 2004 : JOUE n° L197, 4 juin 2004, p. 34 ), elle conclue que le législateur n’a pas voulu définir différemment dans ces deux textes les « membres de la famille ».

De sorte que les enfants du conjoint ou du partenaire reconnu d’un travailleur frontalier peuvent être considérés comme les enfants de ce dernier en vue de pouvoir bénéficier d’un avantage social tel qu’une bourse d’études, et ce, d’autant plus qu’une autre directive de l’Union ( PE et Cons. UE, dir. 2014/54/UE, 16 avr. 2014 : JOUE n° L128, 30 avr. 2014, p. 8 ), entrée en vigueur après les faits litigieux, confirme que l’expression « membres de la famille » s’applique également aux membres de la famille des travailleurs frontaliers.

Enfin, dans la mesure où la directive 2004/38/UE envisage également « les descendants à charge », la Cour rappelle que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait ( CJCE, 18 juin 1987, aff. C-316/85 ), cette jurisprudence devant également s’appliquer à la contribution d’un conjoint vis-à-vis de ses beaux-enfants sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons de la contribution du travailleur frontalier à cet entretien ni d’en chiffrer l’ampleur exacte.

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 52 – 26 DÉCEMBRE 2016

La semaine juridique édition générale 26 DÉCEMBRE 2016, HEBDOMADAIRE, N° 52
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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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