[Article] Protection de l’enfant : Entretien avec Laurence Rossignol

Extrait de la Revue : Droit de la Famille n°3
Entretien avec Laurence ROSSIGNOL ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes

Protection de l’enfant

« Dans l’équilibre des intérêts à considérer dans la justice familiale, celui des enfants prend une place particulière, en raison de leur vulnérabilité »

 

Faire des droits de l’enfant une priorité politique et sociale, telle est l’ambition gouvernementale réaffirmée par Laurence Rossignol, lors de l’audition de la France par le Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies, à Genève, les 13 et 14 janvier derniers. Si le Comité alertait le pays sur l’impérieuse nécessité d’améliorer son action publique, en particulier envers les enfants les plus vulnérables, il examinait en ce début d’année le 5e rapport relatif à l’application de la Convention de New-York, lequel présente les mesures prises en faveur d’une gouvernance nationale de la protection de l’enfance. Plus largement, le rapport s’inscrit dans un vent de réforme interministériel, lui-même insufflé par le respect de trois priorités : la progression de la prise en compte des besoins et des droits de l’enfant, l’amélioration du repérage et du suivi des situations de danger et de risque de danger, le développement de la prévention. Dans nos colonnes, ce mois-ci, Laurence Rossignol accepte de nous livrer une lecture de ces orientations. Car, « respecter les droits de l’enfant, c’est d’abord faire en sorte que l’institution respecte et entende la parole de l’enfant ».

1 – Le troisième protocole additionnel à la Convention des droits de l’enfant introduit une « procédure de présentation des communications ». Quelle est la singularité de ce recours ?

La ratification du troisième protocole fait partie des dossiers que j’ai investis à mon arrivée, en avril 2014.
Quelques mois plus tôt, le président de la République avait pris l’engagement, en réponse aux sollicitations des associations et institutions défenseures des enfants et de leurs droits, qu’il serait signé rapidement, ce que le précédent gouvernement n’avait pas fait. Adopté le 19 décembre 2011 par l’Assemblée générale des Nations-Unies, je suis allée le signer à New-York, le 20 novembre 2014, et le parlement l’a ratifié en octobre dernier. Cette ratification constitue une avancée majeure pour les droits de l’enfant, demandée de longue date par les acteurs de la défense des enfants. La position de la France était très attendue car, comme vous le savez, elle a largement contribué à la rédaction de la Convention des droits de l’enfant de 1989, dont nous avons célébré le 25e anniversaire de la ratification par la France en 2015.

La singularité du troisième protocole repose sur le fait qu’il permet aux enfants, ou à leurs représentants, de déposer une plainte devant un comité international d’experts, une fois les recours des juridictions nationales épuisés. La Convention des droits de l’enfant était, jusqu’alors, le seul instrument international à ne pas disposer de mécanisme de recours. Avec ce protocole additionnel à la Convention, les États reconnaissent davantage les droits de l’enfant comme de véritables droits de l’Homme, des droits humains à hauteur des enfants.

2 – Peut-on y voir un mécanisme innovant donné à l’enfant pour être acteur de la procédure qui le concerne ?

C’est l’esprit de ce protocole, déjà très présent dans la Convention des droits de l’enfant. La France s’en saisit progressivement et la ratification du troisième protocole envoie un message clair à la communauté internationale : la reconnaissance par la France de la parole de l’enfant, de l’enfant comme sujet de droit, et comme acteur de ses propres droits.

Cette étape s’inscrit dans une démarche beaucoup plus large de recherche du meilleur intérêt de l’enfant par les institutions françaises. Et, je crois effectivement que cela passe par une attention plus grande portée à sa parole. Je l’ai mesuré au cours de la concertation que j’ai menée pour la protection de l’enfance. Dans les échanges avec de jeunes adultes, anciens de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), beaucoup relevaient les difficultés à exprimer leur point de vue et donc, à se faire entendre. Par exemple, certains racontaient que des visites médiatisées leur avaient été imposées, même à un âge avancé, alors qu’elles pouvaient être pour eux très douloureuses et perturbantes. Alors oui, pour moi, le protocole doit favoriser la participation des enfants aux procédures qui les concernent.

3 – En droit interne, le Code civil reconnaît à tout mineur « capable de discernement » un droit à l’audition. Si l’on salue la souplesse laissée au juge dans l’appréciation du discernement, on regrette son imprévisibilité. Comment gommer les disparités territoriales ?

Je crois que la souplesse est nécessaire, car chaque situation est singulière. Prendre en compte au mieux les besoins et l’intérêt de l’enfant exige cette souplesse. Ainsi, la question n’est pas tant de gommer les disparités territoriales que de garantir une bonne prise en compte de l’intérêt de l’enfant, laquelle passe par une meilleure mise en oeuvre de l’article de 12 de la Convention des droits de l’enfant : « les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération, eu égard à son âge et à son degré de maturité. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant ».

J’ai perçu que cette question de l’audition de l’enfant est plus sensible chez les juges aux affaires familiales que pour les juges des enfants qui entendent plus spontanément les enfants. Si j’oublie leur charge de travail et imagine un fonctionnement idéal, la meilleure façon de gommer les disparités serait d’encourager les juges à entendre tous les enfants qui le demandent. C’est en ayant entendu l’enfant que le juge pourra apprécier sa capacité de discernement et sa maturité et décider alors de la meilleure prise en compte de ce qu’il exprime. Pour parvenir à ce fonctionnement, il faudrait faire preuve de beaucoup de pédagogie, afin de rendre compréhensibles la justice et son fonctionnement aux enfants. Si ces derniers doivent être mieux informés, les professionnels, notamment les travailleurs sociaux, doivent l’être également. Je suis aujourd’hui convaincue qu’un effort est à fournir également dans l’explicitation des décisions prises par les juges. En particulier, si la décision du juge, dans l’intérêt de l’enfant, ne correspond pas à ce que celui-ci a exprimé et même, parfois, explicitement demandé.

4 – L’accompagnement dans le recueil et l’interprétation de la parole de l’enfant, via une formation obligatoire à la psychologie juvénile avant toute prise de fonctions du juge aux affaires familiales, ne serait-il pas un remède à considérer ?

Il n’est pas de ma responsabilité d’organiser la formation des magistrats ; mais, au cours des débats organisés en amont de la réforme de la protection de l’enfance, j’ai pu rencontrer différents juges. J’ai compris que leur formation, initiale comme continue, a sur ce point beaucoup évolué. C’est heureux, car appréhender et comprendre la parole de l’enfant, dans les diverses situations où elle s’exprime, implique des compétences et des qualifications spécifiques d’écoute, d’interprétation et de patience. Pour autant, comme la fonction de juge aux affaires familiales n’est pas spécialisée, les magistrats qui embrassent cette fonction ne bénéficient pas de formation obligatoire. Alors que, comme vous le suggérez, une formation spécifique aux dynamiques familiales, à l’audition de l’enfant, serait profitable pour créer des repères, voire harmoniser les pratiques. La formation serait alors un moyen de gommer les disparités entre les juridictions

5 – Des conventions ont été signées entre barreaux et juridictions pour harmoniser les pratiques judiciaires. Toutes veillent à garantir la présence d’avocats d’enfants sur l’ensemble du territoire. En pratique, comment encourager leur intervention tant devant le juge aux affaires familiales qu’en matière d’assistance éducative ?

Comme vous le soulignez, de réelles avancées sont constatées pour favoriser, dans les juridictions, la
mobilisation d’avocats spécialisés et formés pour représenter les enfants dans les procédures qui les
concernent. Mais, il reste beaucoup à faire pour qu’en pratique le recours aux avocats d’enfants soit
réellement utilisé comme une ressource et un levier pour garantir la prise en compte du point de vue de l’enfant dans les décisions administratives ou judiciaires nécessaires à sa protection. Sans doute, si les conventions signées entre les barreaux et certains conseils départementaux (encore très minoritaires) se généralisaient, elles pourraient promouvoir et renforcer les partenariats entre les services de l’Aide Sociale à l’Enfance et les avocats d’enfants. Mais, ces avancées supposent une meilleure connaissance réciproque des institutions. C’est pourquoi nous prévoyons, dans le décret d’application de l’article 2 de la loi relative à la protection de l’enfant, qu’un représentant du barreau, de préférence un avocat d’enfants, soit membre de l’Observatoire Départemental de la Protection de l’Enfance.

Certains magistrats s’interrogent par ailleurs sur les conditions de désignation des avocats d’enfants dans les procédures d’assistance éducative. Ils regrettent que cette désignation intervienne tardivement, alors que de lourdes décisions ont pu déjà avoir été prises (dans le cadre des ordonnances provisoires de placement, par exemple). Ils relèvent aussi que le contexte de l’audience, et plus encore de la crise familiale, se prête difficilement à une réponse favorable de l’enfant quand il est sollicité par le magistrat, sans toujours avoir pu mesurer les implications d’une telle décision. Il est là-encore question de pédagogie, d’explicitation ; l’avocat pourrait répondre à ces enjeux.

Un travail est donc en cours sur cette question pour envisager les pistes qui permettraient de favoriser le recours à l’avocat d’enfants dans les procédures civiles. Pour autant, ces avancées ne porteront véritablement leurs fruits qu’à condition que les représentations sociales et professionnelles de la place de l’enfant dans la société changent. Tous les intervenants auprès de l’enfant n’ont pas encore le réflexe de recueillir son point de vue, de le prendre en compte, avant de décider pour lui.

6 – Les avocats d’enfants ne pourraient-ils pas faciliter les passerelles entre juges des enfants et
juges aux affaires familiales, tel le souhait des parlementaires dans la proposition de loi relative à la protection de l’enfant (art. 17 bis) ?

La question que vous soulevez s’inscrit dans une préoccupation plus vaste, exprimée par les professionnels de la protection de l’enfance, qui pointent les limites des procédures d’assistance éducative pour répondre aux besoins des enfants confiés durablement à l’Aide Sociale à l’Enfance ou à des tiers. Ils identifient deux difficultés principales, largement reprises par les bénéficiaires eux mêmes. La première concerne l’organisation de la vie quotidienne des enfants, d’autant plus compliquée que l’autorité parentale n’est pas réellement exercée. Je pense, par exemple, aux sorties scolaires, ou chez des amis. Mais la difficulté la plus lourde de conséquences pour l’enfant tient sans doute à la succession de mesures provisoires, renouvelées d’année en année, sans possibilité de projection à long terme. De nombreux témoignages montrent combien cette situation est douloureuse pour l’enfant et justifient une réflexion de fond sur la nature des réponses à mobiliser en protection de l’enfance. C’est aussi un point de vue, porté notamment par Adeline Gouttenoire, qui proposait, dans son rapport rendu public en avril 2014, « d’adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui ».

Si l’assistance éducative est efficace pour restaurer l’autorité parentale et soutenir l’enfant dans des situations de danger ou de risque de danger, elle n’est pas le cadre juridique le plus adapté à la construction d’un projet de vie pour l’enfant dont les parents sont durablement défaillants. D’autres réponses existent qui devraient être davantage mobilisées. C’est en ce sens qu’a été voté l’article 17 bis de la loi relative à la protection de l’enfant. Il s’agit d’encourager l’évolution du cadre juridique dans lequel s’exerce la mesure de protection quand l’évaluation de la situation de l’enfant montre que cela est de son intérêt. Le fait pour le juge des enfants de pouvoir saisir le ministère public instaure une nouvelle passerelle entre juges des enfants et juges aux affaires familiales.

Sans doute la mobilisation des avocats d’enfants permettrait que l’évolution du cadre juridique se traduise effectivement, et plus rapidement, dans la pratique. Leur présence aux côtés de l’enfant pourrait aussi rassurer les professionnels sur le fait qu’un tiers, garant du respect des droits de l’enfant, veille aux bonnes conditions de son accompagnement. L’avocat de l’enfant pourrait, en effet, dans cette situation, assurer auprès des services de l’ASE, un regard extérieur précieux pour envisager les meilleures décisions à prendre pour l’enfant.

7 – Parmi les autres leviers de changement annoncés, la proposition de loi institue un Conseil national de protection de l’enfance (art. 1er). En quoi sa mission se distingue-t-elle de celle confiée, en fin d’année, au Haut conseil de la famille ?

Suite à la promulgation de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015 : JO 29 déc. 2015), le 28 décembre dernier, le Haut conseil de la Famille rejoint le Haut conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA), une instance intergénérationnelle, placée auprès du premier ministre, et qui rassemblera différents conseils. Les décrets sont en préparation.

La formation enfance du HCFEA devra favoriser la mise en place d’une politique nationale en faveur de l’enfance visant le développement complet de l’enfant, le soutien de ses capacités, dans une approche globale de ses droits et de ses besoins (en matière de santé, d’éducation, de culture et de loisirs notamment). Elle sera composée notamment des services de l’État, des départements, des associations, d’enfants et d’adolescents. Elle sera chargée de suivre la mise en uvre des recommandations du Comité des droits de l’enfant. La France répond ainsi aux observations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU qui relevait, en 2009, l’absence de politique nationale en faveur de l’enfance.

Le HCFEA est une instance large et ouverte de réflexion, de prospective et d’impulsion d’une politique publique décloisonnée en faveur de l’enfance. Son périmètre est bien plus large que celui du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), prévu à l’article premier de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, pour répondre aux besoins spécifiques des acteurs de la protection de l’enfance : besoins d’élan, de coordination et de suivi de la politique publique de protection de l’enfance. Le CNPE sera une instance opérationnelle de pilotage de la protection de l’enfance.

Si les enjeux et les périmètres des deux conseils diffèrent, il est nécessaire de penser la complémentarité entre les deux instances, de sorte que les questions de protection de l’enfance puissent être abordées dans le cadre des réflexions plus larges du Haut conseil et que l’on ne distingue pas, dans l’approche globale des besoins et du développement de l’enfant, les plus vulnérables des autres. C’est la raison pour laquelle une représentation du CNPE sera assurée dans la formation enfance du Haut conseil.

8 – La Chancellerie orchestre une réforme de la justice pénale des mineurs pour promouvoir la prévention de la délinquance. Des outils partagés sont-ils déjà pensés pour mieux prendre en compte la parole de l’enfant ?

Les réunions interministérielles sur le sujet de la réforme de la justice pénale des mineurs n’ont pas encore eu lieu. Il est donc difficile de vous donner mon regard sur les questions ici soulevées. Mais je sais l’attachement des professionnels à considérer le traitement de la délinquance des mineurs comme une dimension de la politique publique de protection de l’enfance, soumise aux règles et aux principes de la Convention internationale des droits de l’enfant. C’est le sens des dispositions prises dans le cadre de la réforme de la protection de l’enfance, en fin de parcours législatif, pour que les données de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) soient transmises à l’Observatoire national de la protection de l’enfance afin de faciliter les articulations et tendre vers une approche globale des parcours des enfants sous-main de justice. Il n’y a pas, d’une part, des enfants en danger et, d’autre part, des enfants dangereux ; ce sont souvent des mêmes enfants dont nous parlons.

9 – La justice familiale est-elle en mutation sous la houlette de l’intérêt supérieur de l’enfant ?

C’est, je crois, un mouvement inéluctable qui s’est organisé, en fait, puis en droit, tout au long du XXe siècle. La Convention des droits de l’enfant de 1989 traduit cette évolution. C’est aussi parce que la famille a connu d’importantes mutations, que le droit a dû s’adapter, et que les juridictions chargées des questions familiales ont dû ajuster leur fonctionnement et, parfois même, interpréter les textes en accordant une nouvelle place à l’intérêt de l’enfant. Dans l’équilibre des intérêts à considérer dans la justice familiale, celui des enfants prend une place particulière, en raison de leur vulnérabilité. J’observe que, sans le définir avec précision, la Cour de cassation y recourt de plus en plus fréquemment, entraînant dans ce mouvement l’ensemble des juridictions de l’ordre judiciaire.

Au-delà de la justice familiale, c’est la famille elle-même, et la société plus largement, qui sont « en mutation sous la houlette de l’intérêt supérieur », à la recherche d’un équilibre  encore fragile  pour le prendre en compte au bon niveau.

Ce qui est certain, c’est que cette recherche du meilleur intérêt de l’enfant  et je préfère parler de « meilleur intérêt » que d’ « intérêt supérieur »  est nécessaire à la bientraitance et au respect de ses besoins. Elle passe par la parole de l’enfant : respecter les droits de l’enfant, c’est d’abord faire en sorte que l’institution entende et respecte la parole de l’enfant. Cette dynamique guide l’ensemble de l’action de mon ministère, comme elle a guidé la construction de la feuille de route 2015-2017 pour la protection de l’enfance. Cette reconnaissance s’est concrétisée en juin dernier, par l’inscription du terme « enfance » dans la titulature du secrétariat d’État qui a été confirmée au dernier remaniement ministériel. Cet engagement, je l’ai aussi porté, lors de l’examen de la France par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU à Genève, les 13 et 14 janvier dernier.

Propos recueillis par Alice Philippot, éditeur revue Droit de la famille

DROIT DE LA FAMILLE – n°3 – Mars 2016 

DROIT DE LA FAMILLE - n°3 - Mars 2016

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