[Article] Reclassement du salarié inapte : revirement de jurisprudence

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique Edition Générale n°50

LA SEMAINE DU DROIT SOCIAL

 

DROITS ET OBLIGATIONS DE L’EMPLOYEUR
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Reclassement du salarié inapte : revirement de jurisprudence

Danielle Corrignan-Carsin, professeur émérite à l’université de Rennes 1

Cass. soc., 23 nov. 2016, n° 14-26.398 : JurisData n° 2016-024707

Concept non défini, parfois mal maîtrisé, le reclassement du salarié inapte a donné lieu à une jurisprudence de plus en plus exigeante. Lorsque le médecin du travail déclare un salarié inapte, l’employeur doit s’efforcer de le reclasser dans un emploi approprié « aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail » ( C. trav., art. L. 1226-2 ; art. L. 1226-10 ). La Cour de cassation a dû, entre autres, déterminer le périmètre des recherches de reclassement et gérer le comportement du salarié. Jusqu’alors, elle estimait que « l’employeur, quelle que soit la position prise par le salarié, ne [pouvait] limiter ses propositions de reclassement en fonction de la volonté présumée des intéressés de les refuser » ( Cass. soc., 16 sept. 2009, n° 08-42.301 : JurisData n° 2009-049528 ). Il en résultait qu’il devait poursuivre ses investigations « tous azimuts » sans pouvoir les cantonner.

Dans l’arrêt du 23 novembre 2016, la Cour de cassation rompt nettement avec cette jurisprudence : un salarié déclaré inapte à la suite d’un accident du travail avait expressément refusé 6 postes conformes aux prescriptions du médecin du travail aux motifs, « d’une part, qu’ils étaient trop éloignés et d’autre part, qu’ils étaient hors de ses compétences professionnelles ». Eu égard au premier motif, l’employeur n’avait pas effectué de recherches de reclassement sur des postes situés à l’étranger. Pour déclarer fondé le licenciement prononcé pour impossibilité de reclassement, les juges du fond ont estimé que le « refus exprès exprimé par le salarié (…) d’être reclassé dans un poste loin de son domicile rendait inutile une recherche de reclassement de l’employeur sur des postes plus éloignés ».

Leur position est confirmée par la Cour de cassation qui énonce tout d’abord que l’employeur « peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte » et donc limiter ses recherches de reclassement compte tenu des souhaits ou refus exprimés par l’intéressé (V. dans le même sens, Cass. soc., 23 nov. 2016n° 15-18.092 : JurisData n° 2016-024699). C’est une simple possibilité offerte à l’employeur à qui il appartient toujours de justifier de son impossibilité de reclasser le salarié « dans un emploi approprié à ses capacités au terme d’une recherche sérieuse, effectuée au sein de l’entreprise et des entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent, (…) d’y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ».

Dans sa note explicative, la Cour précise que, bien qu’énoncé « dans le contexte de groupe de sociétés à dimension internationale, le principe nouveau affirmé de façon générale, a vocation à s’appliquer quelles que soient la taille de l’entreprise et son appartenance ou non à un groupe ».

La Cour de cassation rappelle ensuite que « l’appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement relève du pouvoir souverain des juges du fond ». Mais la portée de la règle est nécessairement appelée à évoluer, puisque l’appréciation des efforts de reclassement se fera, non seulement en fonction du caractère sérieux des propositions formulées, mais « aussi au regard du comportement ou de la position du salarié » ( note explicative préc .).
La décision pragmatique évite une dispersion des recherches de reclassement mais suscite certaines interrogations. Tout d’abord, un employeur peut-il par anticipation limiter l’étendue de ses obligations en sollicitant par avance et en dehors de toute proposition concrète la volonté des salariés, ou doit-il préalablement enregistrer le refus d’une offre de reclassement ? Ensuite, un silence ou un simple refus permet-il à l’employeur d’orienter ses recherches en fonction de critères présumés ? Le risque encouru incite à la prudence : l’employeur qui souhaite limiter le domaine des recherches de reclassement doit s’assurer de restrictions explicitement énoncées par le salarié ou d’une volonté dénuée d’ambiguïté.

À l’avenir, il conviendra d’intégrer les dispositions de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ( JO 9 août 2016, texte n° 3 ; JCP G 2016, doctr. 1019, B. Teyssié ) qui semble alléger l’obligation de reclassement en prévoyant qu’elle est « réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi » prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail ( C. trav., art. L. 1226-2-1 ; art. L. 1226-12 ).

 

LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION GÉNÉRALE – N° 50 – 12 DÉCEMBRE 2016

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AUTEUR(S) : N. Molfessis, D. Bureau, L. Cadiet, Ch. Caron, J.-F. Cesaro, M. Collet, E. Dezeuze, J. Klein, B. Mathieu, H. Matsopoulou, F. Picod, B. Plessix, P. Spinosi, Ph. Stoffel Munck, F. Sudre, B. Teyssié, S. Torck

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