[Article] Repère « Faut-il protéger l’auteur de l’empiètement ou sa victime ? »

Extrait de la Revue mensuelle Construction-Urbanisme – Mars 2016

Empiétement et droit constitutionnel (à propos de Cass. 3e civ., 11 févr. 2016, n° 15-21.949)

Hugues PÉRINET-MARQUET,
professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris 2)

« Faut-il protéger l’auteur de l’empiètement ou sa victime ? »

 

L’empiétement intéresse, d’évidence, fortement le droit de la construction et de l’immobilier. Le phénomène s’avère loin d’être marginal et se manifeste de manière très diverse, étant parfois découvert immédiatement, mais dans d’autres hypothèses, beaucoup plus tardivement. Il en va notamment ainsi lorsque l’empiétement est souterrain, ce qui n’est pas rare, les techniques modernes nécessitant souvent l’ancrage des constructions.

Or, en la matière, la Cour de cassation campe sur une position stricte mais claire qui tient en deux solutions complémentaires. La première consiste à reconnaître un droit absolu au profit du propriétaire du fonds victime de l’empiétement (Cass.3e civ., 14 mars 1973 : Bull. civ. 1973, III, n° 206. – Cass. 3e civ., 26 juin 1979 : Bull. civ. 1979, III, n° 142. – Cass. 3e civ., 5 déc. 2001, n° 00-13.077 : JurisData n° 2001-011994 ; Bull. civ. 2001, III, n° 147 ; RD imm. 2002, p. 139, obs. Bruschi. – Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n° 00-16.015 : JurisData n° 2002-013615 ; JCP G 2002, II, 10189 note Bonnet ; JCP G 2002, I, 276, obs Périnet-Marquet ; Bull. civ. 2002, III, n° 71 ; D. 2002, p. 2075, note Caron ; D. 2002, somm. p. 2507, obs Mallet-Bricout ; RTD civ. 2002, p. 333, obs. Revet. – Cass. 3e civ., 10 nov. 2009, n° 08-17.526 : JurisData n° 2009-050344 ; JCP G 2010, 336, obs. Périnet-Marquet ; Bull. civ. 2009, III, n° 248 ; D. 2010, p. 2183, obs. Mallet-Bricout et Reboul-Maupin ; RD imm. 2010, p. 87, obs. Boubli ; RD imm. 2010, p. 204, obs. Bergel), qui est constamment réaffirmée (V. en dernier lieu, Cass. 3e civ., 8 oct. 2015, n° 13-25.532 : « dès lors qu’un constructeur étend ses ouvrages au-delà des limites de sa propriété, il y a lieu à démolition de la partie de sa construction qui repose sur le fonds voisin, quelles que soient l’importance de l’empiétement et la bonne ou mauvaise foi du constructeur »). La seconde tient au fait que la défense du droit de propriété contre un empiétement ne saurait dégénérer en abus (Cass. 3e civ., 7 juin 1990, n° 88-16.277 : JurisData n° 1990-701720 ; Bull. civ. 1990, III, n° 140. – Cass. 3e civ., 7 nov. 1990, n° 88- 18.601 : JurisData n° 1990-702938 ; Bull. civ. 1990, III, n° 226).

Ces solutions sont-elles de nature à évoluer ?
Telle est la question que pose, au moins implicitement, l’arrêt de la troisième chambre civile du 11 février 2016.

Dans cette espèce, à la suite d’un empiétement, ses auteurs sont condamnés à démolition sous astreinte. Ils effectuent des travaux mais les juges constatent que l’empiétement n’a pas totalement disparu. Lors du contentieux de la liquidation de l’astreinte, ils demandent à la Cour de cassation de poser une question prioritaire de constitutionnalité afin de déterminer si l’article 545 du Code civil, tel qu’interprété par une jurisprudence constante, selon laquelle l’action en démolition
de la partie d’une construction reposant sur le fonds d’un voisin ne peut jamais dégénérer en
abus de droit, méconnaît les articles 2, 4 et 17 de la Déclaration de 1789 garantissant le droit de
propriété, le droit au respect de la vie privée et du domicile et le principe selon lequel la liberté
consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.

La réponse de la Cour de cassation est négative, mais uniquement au motif que la question posée
n’était pas de nature à avoir une influence sur l’objet du litige, celui-ci ne visant que la liquidation
ou la modération de l’astreinte sans que ne puisse être remis en cause le principe de l’obligation
qui avait fait l’objet de décision définitive. Le non-renvoi est donc purement lié à l’objet du recours. A contrario, la Cour de cassation ne semble pas s’interdire de saisir le Conseil constitutionnel si la question de la constitutionnalité de la démolition systématique de l’empiétement lui était directement posée, ce qui n’était pas le cas.
L’intéressant avis de l’avocat général Bruno Sturlese (B. Sturlèse, Avis : JCP G 2016, à paraître)
va d’ailleurs clairement en ce sens puisqu’il se termine par ces phrases : « Cependant la non-transmission ne résoudra pas les difficultés entrevues et le débat ne sera pas clos. Aussi devrait-elle, à notre avis, constituer l’amorce d’une reconsidération de votre jurisprudence ».

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CONSTRUCTION – URBANISME – REVUE MENSUELLE LEXISNEXIS JURISCLASSEUR – MARS 2016

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