[Article] Volte-face du préempteur urbain : le propriétaire peut-il poursuivre la commune en exécution forcée de la vente ?

Extrait de la Revue : La Semaine Juridique – Notariale et Immobilière n°16-17

DROIT DE PRÉEMPTION URBAIN (DPU)

Issu de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, le nouvel article L. 213-14 du Code de l’urbanisme modifie substantiellement le régime des ventes conclues par voie de préemption en retardant le transfert de propriété au jour du paiement du prix qui doit désormais intervenir dans un délai de quatre mois. Destiné prioritairement à rendre sa liberté de disposer au propriétaire du bien préempté s’il n’est pas payé à temps, le nouveau texte ne devrait nullement exclure une autre issue consistant pour le vendeur à contraindre la commune à exécuter ses obligations. Il serait en effet paradoxal que cette voie de droit, qui existait antérieurement à la réforme, lui soit déniée au lendemain de celle-ci alors que l’esprit du texte était précisément d’accroître les garanties du vendeur.

Volte-face du préempteur urbain : le propriétaire peut-il poursuivre la commune en exécution forcée de la vente ?

 

Charles GijsbersCharles Gijsbers est agrégé de droit privé et de sciences criminelles et professeur à l’université de Rouen

1 – Instrument privilégié des politiques d’aménagement des collectivités territoriales, le droit de préemption urbain n’est pas concevable sans un certain nombre de garanties au profit du propriétaire qui en subit l’exercice1. C’est précisément en vue d’instaurer un meilleur équilibre entre l’intérêt général et le respect de la propriété privée que la loi Alur, sur les brisées d’un rapport du Conseil d’État2, a organisé un retardement du transfert de propriété du bien préempté au paiement du prix (ou à la signature de l’acte authentique si elle est plus tardive) tout en accélérant ce paiement, qui doit désormais intervenir dans un délai de quatre mois à compter de la préemption (C. urb., art. L. 213-14, al. 2)3. Cette nouvelle règle diffère sensiblement du système antérieur dans lequel la commune devenait propriétaire du bien dès l’accord sur la chose et sur le prix (C. civ., art. 1583)4 et disposait de six mois pour payer ou consigner le prix à peine de devoir rétrocéder le bien au vendeur selon des modalités qui, de l’avis unanime, ouvraient une période d’incertitude peu satisfaisante5.

2 – Les garanties du vendeur sortent donc considérablement renforcées de la nouvelle rédaction du texte qui, en le maintenant propriétaire jusqu’à la signature de l’acte et au règlement du prix, lui permet, aussitôt le délai de paiement expiré, d’ « aliéner librement son bien » (C. urb., art. L. 213-14, al. 3)6.
Est-ce à dire, pour autant, que cette voie soit la seule que puisse emprunter le propriétaire qui se heurte au défaut de paiement de la collectivité locale ? Après tout, si le vendeur craint de ne pas retrouver rapidement un candidat acquéreur, ne serait-il pas justice de l’autoriser à poursuivre l’exécution forcée de la vente contre la commune qui, en préemptant, a donné son consentement définitif à la vente7 ? Conforme à la lettre du texte (1),  cette solution nous semble, en outre, pleinement épouser son esprit (2).

1. La lettre

3 – Si l’article L. 213-14 du Code de l’urbanisme n’envisage pas expressément la possibilité d’obtenir du juge judiciaire la réalisation forcée de la vente contre la commune qui tarde à payer, cette sanction peut néanmoins se déduire de la lettre du texte. En effet, si les mots ont un sens, c’est bien le seul « transfert de propriété » que le législateur a fait le choix de différer jusqu’au complet paiement du prix. Le contrat de vente est, quant à lui, définitivement formé puisque l’accord des parties est déjà intervenu sur la chose et le prix.
On ne saurait donc souscrire à l’affirmation selon laquelle, depuis la réforme du 24 mars 2014, « la DIA ne peut plus avoir le caractère d’une pollicitation »8, sauf peut-être à soutenir, par un curieux renversement des facteurs logiques, que le paiement du prix, qui relève normalement de l’exécution du contrat, en serait ici une condition de formation9 ! Pareille analyse excède à l’évidence le vœu du législateur qui, souhaitant simplement épargner au vendeur les affres de la procédure de rétrocession, n’a entendu modifier que « les modalités de transfert de propriété »10 sans bouleverser, au-delà, le régime ordinaire de formation des contrats11. Aussi nous semble-t-il plus convaincant d’affirmer que la loi nouvelle s’est bornée à différer l’effet translatif de la vente qui demeure pleinement soumise, pour ce qui intéresse sa formation, au principe classique du consensualisme. Cette figure n’a, du reste, rien pour surprendre un civiliste qui y reconnaîtra une banale vente immobilière avec réserve de propriété comme il en va aujourd’hui de la plupart des promesses synallagmatiques valant d’ores et déjà vente (C. civ., art. 1589) mais dont les parties retardent l’effet translatif à la signature de l’acte authentique et au paiement du prix12.

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Ndlr : cette étude, parue au Bulletin du Cridon de Paris (1er mars 2016), est publiée avec l’aimable autorisation de son directeur général que l’auteur et la Rédaction remercient vivement.

1 V. sur ce thème, en tout dernier lieu, F. Bouyssou, La préemption, l’urbanisme et le droit des gens : RDI 2015, p. 278 et s.

2 Conseil d’État, Le droit de préemption : La documentation française, 2007, p. 67.

3 Le texte vise plus précisément « soit la décision d’acquérir le bien au prix indiqué par le vendeur ou accepté par lui, soit la décision définitive de la juridiction compétente en matière d’expropriation, soit la date de l’acte ou du jugement d’adjudication ».

4 Concrètement : 1° soit lors de l’accord sur le prix figurant dans la DIA ; 2° soit lors de l’acceptation du prix proposé par la commune ; 3° soit, en cas de recours au juge, lors de l’acceptation du prix fixé par celui-ci.

5 Conseil d’État, Le droit de préemption, op. cit., note (2), loc. cit. – Adde, sur les difficultés du système antérieur, É. Forgeois, Transfert de propriété et paiement du prix du bien préempté depuis la loi Alur : JCP N 2014, n° 42, 1307, spéc. n° 2.

6 De façon fort maladroite, la loi Alur a maintenu en l’état le quatrième alinéa de l’article L. 213-14 qui affirme la possibilité pour le propriétaire d’aliéner librement le bien après rétrocession. Cette rétrocession n’étant plus nécessaire (puisque le vendeur conserve la propriété jusqu’au complet paiement), cet alinéa n’a plus de raison d’être et mériterait donc d’être supprimé. Tout comme devrait l’être l’article L. 213-15 selon lequel « L’ancien propriétaire d’un bien acquis par voie de préemption conserve la jouissance de ce bien jusqu’au paiement intégral du prix » : ce n’est pas seulement la jouissance que conserve le vendeur jusqu’au paiement intégral mais la propriété.

7 Pour la négative, V. S. Guicherd, Le droit de préemption du nouvel article L. 213-14 du Code de l’urbanisme après la loi Alur du 24 mars 2014 : RTD imm. 2014, n° 4, p. 12 et s., spéc. p. 14. – Pour l’affirmative, V. F. Collart-Dutilleul [dir.], Droit de la vente immobilière : Dalloz, coll. Référence, 6e éd., 2016-2017, n° 041.162, p. 251.

8 E. Carpentier, La loi Alur et les droits de préemption publics : RDI 2014, p. 240. – Rapp. J.-Fr. Struillou, L’impact de la loi Alur sur le régime du droit de préemption : RFDA 2014, p. 576 et s. qui évoque « l’empêchement de la vente en raison du non-paiement du prix ».

9 La vente sur préemption deviendrait, autrement dit, un contrat réel ne pouvant exister que par la remise du prix, ce qui, pour n’être pas techniquement impossible (J. Ghestin, Réflexions d’un civiliste sur la clause de réserve de propriété : D. 1981, chron. p. 1 et s., spéc. n° 18, p. 6), n’est tout de même pas dans l’ordre des choses.

10 Ce sont les termes de l’exposé des motifs. L’étude d’impact est dans le même sens « Mesure 8 : Préciser la date du transfert de propriété d’un bien préempté ».

11 V. déjà, H. Périnet-Marquet, Droit de préemption et formation du contrat : AJDI 1998, p. 25 et s. qui insiste in fine sur la nécessité « d’intégrer les divers droits de préemption en matière d’urbanisme au droit des contrats et de contribuer ainsi au respect de l’unité du droit. La multiplication des mécanismes dérogatoires, tant en droit public qu’en droit privé, risque en effet de mettre à mal la théorie générale du droit contractuel qui est l’un des piliers du droit français. Pour défendre cette théorie, il paraît donc indispensable de s’attacher à démontrer qu’elle demeure pertinente, même dans les domaines dont on tente de l’exclure ».

12 La seule originalité tient ici au fait que le transfert différé procède non pas de la volonté des parties mais de la décision de la loi qui subordonne la mutation de propriété au paiement du prix, ce qui n’est pas, du reste, une situation totalement inconnue de notre législation : V. par ex. CPC ex., art. R. 221-32, al. 2.

LA SEMAINE JURIDIQUE – NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE – N° 16-17 – 22 AVRIL 2016

LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 16-17 - 22 AVRIL 2016

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