Extrait de la Revue : La Semaine Juridique – Notariale et Immobilière n°13
CONTRATS ET OBLIGATIONS
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Nouveau droit, nouvelles clauses
L’art de la clause des notaires à l’aune de la réforme du droit des obligations
À vos clauses !
Avant-propos

Mustapha Mekki
L’ ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général des obligations et de la preuve a enfin été publiée le 11 février 20161. Le projet d’ordonnance du 25 février 2015 avait ouvert une période de consultation publique qui, non seulement, a connu un succès certain mais surtout dont les contributions ont été entendues par le ministère de la Justice qui a apporté des modifications substantielles à un certain nombre de dispositions. Dans ce dialogue entre les sources, les notaires ont joué et vont encore jouer un rôle important.
En effet, le notariat a contribué, avec d’autres professions du droit, à l’analyse critique, mais toujours constructive, du projet d’ordonnance. De nombreux éclairages apportés par la pratique notariale, dont on connaît la capacité d’imagination et la force de persuasion, ont permis à la Chancellerie d’améliorer la qualité et la cohérence de certains textes. Que l’on songe aux contrats préparatoires, au droit des clauses abusives, à la violence économique ou aux modalités de l’obligation.
Les notaires vont encore à l’avenir jouer un rôle fondamental car ils sont, en qualité de rédacteurs d’actes, les premiers relais du législateur. Ce sont eux qui, exerçant leur magistrature préventive, vont devoir se charger d’interpréter les nouveaux textes afin d’en déterminer au plus vite le sens, la valeur et la portée. En déterminant la nature des règles figurant dans le futur nouveau titre III du livre III du Code civil, le notaire est à même de déterminer par la même occasion la marge de manœuvre dont il dispose dans la rédaction des différentes clauses contractuelles. Le pouvoir créatif et créateur du notariat est d’autant plus important que le rapport remis au Président de la République, qui a été publié en même temps que l’ordonnance, affirme qu’« Il n’y a (…) pas lieu de préciser pour chaque article son caractère supplétif, qui constitue le principe, le caractère impératif étant l’exception. La subsistance dans certains articles de la mention « sauf clause contraire » n’autorise par conséquent aucune interprétation a contrario et ne remet nullement en cause le principe général du caractère supplétif des textes ». Certes, la valeur normative de ce rapport peut être discutée mais il révèle l’état d’esprit dans lequel les dispositions ont été rédigées.
Le notaire va devoir, d’une part, user de son art pour rédiger des clauses qui devront être en conformité avec le nouveau droit des obligations. Il devra notamment prendre garde à ce que lesdites clauses ne soient pas sanctionnées pour atteinte à la substance de l’obligation essentielle (C. civ., art. 1170) ou ne soient pas qualifiées, lorsqu’elles figurent dans un contrat d’adhésion, de clauses abusives (C. civ., art. 1171).
Le notaire doit, d’autre part, et la tâche est plus rude encore, penser et mettre en forme les clauses qui permettent d’aménager les nouvelles dispositions du droit des obligations. Certaines de ces clauses sont formellement prévues par l’ordonnance : clause de répartition des risques pour aménager les effets de l’imprévision, clause d’incessibilité d’une créance, clause excluant la solidarité dans les cessions de contrat, de dette ou de créance. D’autres peuvent être envisagées en raison du caractère « supplétif » posé comme principe au sein du rapport précité : clauses excluant la caducité de l’offre en cas de décès du pollicitant, l’exécution forcée en nature, la révision unilatérale du prix, la résolution par notification, la résolution judiciaire… D’autres clauses sont plus problématiques en raison des termes ambigus de l’ordonnance (ex. clause pour renoncer à une condition défaillie, clauses résolutoires balai ?…) ou parce que ladite disposition, sans que l’ordonnance ne le dise formellement, pourrait être analysée comme une règle d’ordre public contredisant le grand principe posé par le rapport remis au Président de la République (dispositions relatives aux actions interrogatoires par exemple).
Dans ce contexte, ce dossier est destiné, à l’aune des principales dispositions qui impactent la profession du notariat, à accompagner les notaires dans la mise en œuvre des nouvelles dispositions. Il s’agit d’aborder les nouveaux risques nés de la réforme qui devront être identifiés et gérés par le notariat. Identification et gestion des risques telle est la mission qui appartient désormais au notariat qui devra exercer son art de la clause pour garantir à la fois l’efficacité et l’effectivité de la réforme. L’entreprise est périlleuse car, en paraphrasant ce qui a pu être dit des lois, il faut du génie pour penser les clauses, mais il faut de l’art pour les formuler. Notaires de France, à vos clauses !
Mustapha Mekki,
Agrégé des facultés de droit,
Professeur à l’université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité,
Directeur de l’IRDA
1 Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO 11 févr. 2016
LA SEMAINE JURIDIQUE – NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE – N° 13 – 1ER AVRIL 2016